De cendres et de larmes, maison hantée selon Sophie Loubière
Une petite famille parisienne a enfin l’opportunité d’avoir un logement digne, une chambre pour chacun. Elle, Madeline, est pompier émérite, ayant connu le feu sous Notre-Dame, femme d’action. Lui est jardinier à la ville de Paris, doux rêveur, artiste. Avec les trois enfants ils forment une famille recomposée heureuse. Et c’est une mutation du mari, Christian, qui va changer leur vie. Le voilà responsable d’un petit cimetière parisien, avec maison de fonction… en son sein même ! L’occasion inespérée de souffler un peu et de mettre de côté de quoi acheter. Mais l’environnement ne va-t-il pas jouer sur la petite famille ? Ainsi s’ouvre De cendres et de larmes de Sophie Loubière.
La maison au milieu des sépultures
Personnage centrale du roman, la maison, est un espace privé au milieu d’un espace public. Nul abandon n’y est possible, et Madeline va ressentir la pression d’une vie de recluse. C’est en effet une bien étrange maison ! Mais la petite famille pourrait y être heureuse, en occultant les passants, le voisinage direct, le mystères des morts. Les trois enfants s’y plaisent, plus de place ! La petite Anne, espiègle et enjouée, fait du cimetière son propre jardin et s’y invente des histoire. Michael, l’aînée, est en rupture mais ce n’est sans doute qu’une très forte crise d’ado. Eliot combattra sa peur de toute chose en affrontant la nuit. Chacun essaie de voir dans cette nouvelle maison une raison d’espérer.
Pourtant, alors qu’il a son propre atelier et qu’il va enfin pouvoir donner de l’espace pour son art, Christian est en proie à de vieux démons. Il change. Il semble rongé par quelque mal et fait de plus en plus corps avec le lieu. Et la maison, petit à petit, s’empare de ses habitants. De nouvelles habitudes s’installent. La vie n’est plus la même. Mais est-ce un progrès ?
« Et l’oiseau s’abreuvait chaque nuit de ce doux poison qu’est l’espoir. »
En parallèle de l’histoire de la petite famille Mara, le lecteur va suivre Olia. Cette jeune fille, « importée » de Bosnie pour devenir voleuse dans un réseau, a un destin tracé d’avance : si elle n’est plus rentable à détrousser les touristes, sa beauté rapportera encore… Pour survivre, elle va devoir forcer sa chance.
Son destin va croiser celui de Christian, puis d’Eliot. Mais comment va-t-elle entrer dans l’histoire de la famille Mara ? Et comment va-t-elle pouvoir simplement commencer sa propre vie ? Ce personnage est très attachant, c’est une victime avant d’être une voleuse.
« des particules microscopiques et fourbes »
petit, il croyait que l’eau d’un ruisseau était si pure qu’elle pouvait laver jusqu’au chagrin et qu’on aspirait le bleu du ciel dans ses poumons si on ouvrait grand la bouche. La connaissance, la conscience de ce qui l’entourait et cette menace invisible n’étaient qu’un lent et inéluctable déchirement.
Quand la lenteur est un art, les effets psychologiques sur le lecteurs sont forts. Pas de rupture, mais un glissement et des signes d’une faible intensité, d’abord, puis une révélation qui cloue littéralement. Au fil des pages « quelque chose » s’insinue, des interstices s’ouvrent et laissent entrer un mal diffus mais efficace. Et si la maison agissait vraiment sur ses habitants ?
De cendres et de larmes est un roman qui commence très lentement, puis resserre petit à petit son étreinte sur le lecteur. La mise en place est magistrale et Sophie Loubière montre combien elle maîtrise l’art de faire éclater de l’intérieur les choses, de laisser pousser les petites moisissures auxquelles d’habitude on ne s’attache pas, pour qu’une fois la prise de conscience faite, on se rende compte qu’elles couvrent tout l’espace disponible. Et que l’on étouffe. Mais, qu’attendre d’une maison dans un cimetière…
Loïc Di Stefano
Sophie Loubière, De cendres et de larmes, Fleuve édition, juin 2021, 345 pages, 19,90 eur