Serge Gainsbourg, making of d’un dandy
Un sujet inépuisable
On ne compte plus les ouvrages parus sur Serge Gainsbourg depuis son décès en mars 1991. Citons, parmi les plus marquants, la biographie de Gilles Verlant, un fan, et l’essai beaucoup plus iconoclaste Gainsbourg sans filtre de Marie-Dominique Lelièvre. Agrégée de lettres, auteure d’une thèse sur le dandysme chez Barbey d’Aurevilly, Marie-Christine Natta propose ici de relire l’itinéraire de Lucien Ginzburg avec une grille de lecture : et si l’auteur de La Javanaise était un dandy ?
Du titi parisien au dandy pop art
Il est clair que cette thèse va avoir un impact certain, tant Gainsbourg a longtemps clamé son amour des poètes du XIXe siècle (il en a chanté certains). Fils d’immigrés juifs russes, il passe son enfance auprès d’une famille amoureuse de la culture française : il n’en aura que plus de mal à porter l’étoile jaune pendant la guerre. Le petit Lucien a une ambition : devenir peintre. Mais ça ne marche pas. Manque d’allant, de travail ? Il devient, comme son père, pianiste dans des bars, des clubs, des boîtes. Il commence à écrire aussi, sous l’influence de Baudelaire, Rimbaud et… Barbey d’Aurevilly.
Le dandy chez lui
Gainsbourg est un dandy, c’est évident. Il meuble sa maison rue de Verneuil d’objets superflus, les place à un endroit dont ils ne doivent surtout pas bouger (Jacques Dutronc et Julien Clerc essuieront ses foudres pour avoir osé en déplacer certains), achète une Rolls qu’il ne conduit pas (Gainsbourg n’a pas le permis !), dépense l’argent en le jetant par les fenêtres. Beaucoup de choses chez lui relèvent d’une recherche esthétique, y compris sa vision des femmes : il les aime actrices, chanteuses mais jamais au naturel (qu’est-ce que le naturel pour un dandy ?). A l’évidence, il y a du Wilde et du Huysmans en lui (A rebours est un de ses livres préférés).
L’essai biographique de Marie-Christine Natta n’esquive pas non plus l’écueil identitaire, Gainsbourg étant à la fois et successivement juif, russe et français. Et son œuvre ? Elle est inestimable, à l’instar de celle d’un Nougaro (un rival) ou d’un Bashung (un fils spirituel caché). Le travail de Marie-Christine Natta est enthousiasmant. Et, chers lecteurs, on ne saurait se passer de Serge Gainsbourg !
Sylvain Bonnet
Marie-Christine Natta, Serge Gainsbourg making of d’un dandy, Passés composés, mars 2022, 384 pages, 23 euros