Toussaint Louverture, l’homme de la Révolution haïtienne
Un historien britannique face à la France
Professeur à Oxford, Sudhir Hazareesingh s’est spécialisé dans l’étude de la France des dix-neuvièmes et vingtièmes siècles. Il est connu du public français pour un ouvrage très réussi, La Légende de Napoléon (Tallandier, 2007) où il analysait avec brio la manière dont le mythe napoléonien s’était répandu dans la France de la restauration et de la monarchie de Juillet. Il est également l’auteur du Mythe gaullien (Gallimard, 2010), et d’un essai, Ce pays qui aime les idées (Champs, 2017) où il attaquait avec un tact très britannique notre capacité à produire des intellectuels préférant l’abstrait au réel. On avait beaucoup ri en le lisant, tant l’ouvrage analyse bien les travers des « germanopratins » tout en étant pétri de bien des préjugés britanniques sur la France. Il publie cette année chez Flammarion une biographie du révolutionnaire le plus connu d’Haïti, Toussaint Louverture.
Un parcours sidérant
En lisant cette biographie, une remarque : quelle vie ! Toussaint est né esclave à Saint-Domingue. Il a réussi à être affranchi, a bénéficié, en faisant reconnaître son intelligence et ses talents, à s’instruire et à s’installer dans une propriété. La Révolution permet à Toussaint Louverture, lecteur de l’abbé Raynal, de devenir un leader politique et militaire. La révolte des esclaves lui permet d’asseoir sa position. Révolté contre les planteurs français, plus ou moins rallié à l’Angleterre, il soutient finalement la République qui supprime l’esclavage dans les colonies.
Toussaint Louverture, grâce à son charisme, s’impose comme le gouverneur de facto de l’île, face à tous les représentants de la France. Notons que son parcours constitue un défi pour toutes les colonies esclavagistes et le Sud des États-Unis.
A la recherche de l’équilibre
On voit dans cette biographie à quel point Louverture essaie de bâtir des équilibres fragiles. À Saint-Domingue d’abord, entre blancs, métis et noirs. Pour redémarrer l’économie de l’île, il n’hésitera pourtant pas à assigner les paysans noirs dans les plantations, imitant plus ou moins le système de l’encomieda espagnole. Avec les anglais ensuite : il essaie de rétablir des relations commerciales avec eux afin d’assurer le ravitaillement de l’île. Avec la France enfin, qu’il reconnaît comme patrie républicaine mais dont il redoute, à raison malheureusement, qu’elle remette en question l’abolition de l’esclavage.
Et Toussaint Louverture mourra en France, dans un fort du Jura, pendant que son île luttera pour sa liberté. Aurait-il cautionné l’assassinat des blancs commis par Dessalines, son ancien lieutenant ? Non, il voulait autre chose, nous sommes là-dessus d’accord avec son biographe.
Un exemple pour notre temps ?
La conclusion de cette biographie nous pose problème. Autrefois Plutarque avec ses vies illustres avait proposé des exemplum aux princes et aux gouvernants futurs. Aujourd’hui, dans une atmosphère culturelle marquée par le mouvement Black Lives Matters, cette biographie propose de faire de l’itinéraire de Louverture un exemple « pour notre temps ». Mais qu’est-ce qu’un exemple ? Louverture a démontré qu’un homme de couleur noire pouvait être un leader politique d’envergure, c’est sûr et c’est primordial. Un révolutionnaire aussi. Notons pourtant qu’il a possédé lui-même des esclaves et qu’il a autorisé, ponctuellement, l’importation d’esclaves dans la partie espagnole de Saint-Domingue qu’il avait soumis à son autorité. De plus, la constitution qu’il a proposée faisait de lui un gouverneur général à vie : un dictateur donc, ce qui constitue un point commun avec Bonaparte, pas le seul d’ailleurs, qui a lui rétabli l’esclavage dans toutes les colonies (une de ses pires erreurs).
On est loin des idées et du parcours d’un démocrate comme Nelson Mandela et c’est normal, Toussaint Louverture étant un homme (et un révolutionnaire) du dix-huitième siècle. Saluons en tout cas une trajectoire et une figure à ne pas oublier.
Sylvain Bonnet
Sudhir Hazareesingh, Toussaint Louverture, traduit de l’anglais par Marie-Anne de Béru, Flammarion, septembre 2020, 550 pages, 29 eur