The Creator, un film sur l’I.A pour rien?
Dans un futur proche, une guerre totale éclate entre l’humanité et les intelligences artificielles, suite à une explosion nucléaire au cœur de Los Angeles. Chargé d’infiltrer l’ennemi basé en Asie, Joshua va s’éprendre de la mystérieuse Maya et l’épouser. Après un assaut brutal des siens, Joshua la croit décédée et décide de retourner aux États-Unis. Il sera rappelé cinq ans plus tard sur les lieux du drame afin de débusquer l’arme secrète qui devrait permettre à ces êtres informatiques de remporter la victoire. Mais il est loin d’imaginer ce qu’il découvrira sur place…
En moins de quinze ans et avec uniquement trois films à son actif, Gareth Edwards est devenu la nouvelle coqueluche des amateurs de la pop culture, mais aussi d’une partie des critiques. Révélé par son road movie assez original, Monsters, il avait ensuite imposé sa patte sur deux franchises majeures, à savoir Godzilla puis Star Wars, avec le segment Rogue One. Or, si ces différents travaux n’étaient point dépourvus de qualités, ils n’auraient jamais dû susciter un tel engouement autour du réalisateur.
Mais voilà, prisonnier du phénomène super héroïque, le cinéma de genre cherche désespérément des représentants soi-disant affranchis du système afin de s’extirper des griffes de Marvel et DC. Hélas, beaucoup ont surévalué certains longs-métrages, s’inscrivant dans cette ligne éditoriale, censés rehausser le niveau de la production. N’en déplaise à Martin Scorsese, Mission Impossible, John Wick ou Transformers ne valent pas mieux que pas mal d’opus du MCU. Quant à de nombreux auteurs autoproclamés, ils devraient avant tout digérer leurs influences et s’aguerrir à l’art de la mise en scène s’ils souhaitent un jour marquer leur époque. Et sur ce point, Gareth Edwards et son The Creator incarnent le parfait cas d’école.
Avec son nouveau bébé, le Britannique aspire un peu plus à la reconnaissance, à revendiquer ce fameux statut d’auteur. Il ne désire d’ailleurs qu’une chose, prouver aux yeux de tous qu’il en est un. Dans cette optique, il essaie de développer à l’écran un récit ambitieux, nourri par des inspirations évidentes, au service d’un discours sociétal frontal. Ainsi, il n’hésite pas à s’appuyer sur le sujet épineux de l’Intelligence artificielle (à l’heure où le torchon brûle à Hollywood en raison de cette dernière) et espère comme ses aînés (Stanley Kubrick, James Cameron, Mamoru Oshii ou encore Ridley Scott) accoucher d’une œuvre de science-fiction majeure. Malheureusement pour lui, cette velléité louable va se heurter à ses propres limites, la faute à manque de cohésion structurel flagrant.
Planète interdite
Pourtant, la toile de fond de The Creator limpide par excellence concourt à une démonstration facile ; Gareth Edwards compte bien dénoncer la folie des hommes, toujours prêts à guerroyer à la moindre occasion, quitte à écraser ceux qui les servaient encore fidèlement quelque temps auparavant. Ici, la loyauté des êtres mécaniques répond bien plus aux principes d’Asimov et à ceux du robot de Planète interdite qu’à la conscience néfaste de Terminator. Le monde se scinde en deux parties distinctes, l’infâme Amérique capitaliste et l’Asie résistante et bienveillante. Au milieu de ce fatras, un mercenaire et une enfant issus des camps opposés empruntent la route de la réconciliation et de l’espoir.
Et pour présenter tous les enjeux se raccordant à son histoire, Gareth Edwards accélère sa narration dès le départ avec une exposition express des motivations des protagonistes et de leur environnement. Or, cette introduction souffre cruellement d’une accumulation de clichés, inhérente à une ligne de conduite claire, à même de se soumettre à ces fameuses références annoncées d’emblée. Gareth Edwards s’entête dans sa quête du film « méta » ultime qui séduira les sceptiques de la pop culture, mais aussi les déçus (à juste titre) des univers super-héroïques en perdition. Par conséquent, The Creator se risque à adopter une attitude branchée, en remplaçant les cameos racoleurs des concurrents par des renvois directs aux classiques de la science-fiction entre autres.
Et par moments, malgré un budget modeste pour un blockbuster contemporain (quatre-vingts millions de dollars), The Creator remplit ses objectifs avec sa photographie léchée et quelques plans spectaculaires. L’évocation d’un Los Angeles meurtri par une explosion atomique, l’Asie rétro futuriste et ses moines bouddhistes robotiques ou l’esthétique générale s’imbrique dans une direction artistique de qualité. Néanmoins de belles images ne suffisent pas à la réussite d’un exercice formel. On regrette alors que le réalisateur n’ait point abordé les rapports entre Joshua et Alphie, avec le même degré d’attention que le rendu visuel dans son ensemble.
Le soldat et l’enfant
Il a beau calquer, avec nonchalance, le schéma relationnel qui définit le tandem du célèbre manga Lone Wold and Cub (adapté au cinéma avec la saga Baby Cart), il ne parvient jamais à en extraire l’essence émotionnelle, contrairement à Jon Favreau dans la série The Mandalorian. Pourtant, il ne ménage pas ses efforts et ses interprètes, John David Washington en tête, ne déméritent pas, offrant une composition assez honnête et crédible. Le long-métrage est néanmoins fragilisé par l’absence d’une identité propre en termes de fond tandis que les références nombreuses à la pop culture ne dessinent jamais les contours d’un projet original.
Ce défaut récurrent aux films dits « méta » transparaît plus que jamais et nuit au couple formé par le soldat et l’enfant, tant l’évolution de leur duo repose sur des procédés standards et une mise en scène aseptisée. Les dialogues les impliquant et les événements les affectant ont le mérite de fonctionner, mais ne surprennent jamais vraiment. À trop flatter la rétine du spectateur et à afficher son amour du genre par une abondance de clins d’œil, Gareth Edwards rate le coche, celui d’insuffler une âme à ses protagonistes (alors que le débat ici s’articule en partie autour de cette idée). Toutefois, le réalisateur rend au moins hommage aux travaux de Philip K. Dick par l’intermédiaire de ses seconds couteaux et instille par interstices, cette touche d’authenticité absente du reste du long-métrage.
Les I.A rêvent elles de temples bouddhistes ?
Pour ceux qui l’ignoreraient, Blade Runner transpose le roman de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent ils de moutons électriques ?. L’écrivain expliquait que l’on pouvait créer des choses humaines ou animales et qu’à l’arrivée, les différences entre monde des vivants et artificiel seraient minimes. Ridley Scott s’est bien sûr emparé de cette thématique bien qu’il ait davantage développé l’aspect film noir, puis d’autres, comme Mamoru Oshii avec Ghost in the Shell se sont aussi interrogé sur la possible humanisation des machines, au fil de l’avancée de la technologie.
Gareth Edwards ajoute sa pierre à l’édifice et dans cette entreprise, tire son épingle du jeu, non pas grâce à son binôme principal, mais à travers son portrait des personnages secondaires et de leur entourage. On éprouve bien plus d’empathie envers la conjointe de l’ancien compagnon d’armes de Joshua et le protecteur du peuple Harun que le héros lui-même. Et on perçoit davantage la sincérité des sentiments de robots souvent sans visage que celle d’une fillette conçue pour les besoins d’un scénario alourdi toujours par ces satanées références.
Ainsi, cette accumulation de contradictions empêche d’adhérer à la vision du metteur en scène même si sa bonne volonté indéniable contribue à nous immerger dans cette synthèse imparfaite, parfois grotesque, mais assemblée avec un minimum de classe. Une victoire à la Pyrrhus pour Gareth Edwards qui aspire à devenir le Shakespeare de la culture populaire, mais ne se hisse, pour l’instant, qu’au rang d’un honnête créateur de pièces de boulevard.
François Verstraete
Film américain de Gareth Edwards avec John David Washington, Gemma Chan, Ken Watanabe. Durée 2h13, sortie le 27 septembre 2023.