Les Plus qu’humains, éloge des exclus
Un des maîtres de la science-fiction classique
Theodore Sturgeon (1918-1985) fut un des grands auteurs de la science-fiction. Il n’a pourtant laissé aucun cycle comme Frank Herbert (Dune), Robert Heinlein ou Robert Silverberg (Majipoor). Maître absolu de la nouvelle -il remporta d’ailleurs un prix Hugo pour Sculpture lente en 1971-, il n’a laissé que peu de romans qui sont souvent des assemblages de nouvelles : il en est ainsi des Plus qu’humains, paru en 1956, ressorti dans une traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti au printemps de cette année. Disons-le d’emblée, il s’agit d’une œuvre majeure.
La communauté des exclus
L’idiot habitait un univers noir et gris que ponctuaient l’éclair blanc de la faim et le coup de fouet de la peur. Ses vieux habits en lambeaux laissaient voir ses tibias en lame de burin et, sous sa veste déchirée, ses côtes qui saillaient comme des doigts. L’idiot était de haute taille, mais plat comme une limande ; dans son visage mort, ses yeux étaient calmes. »
Il était donc une fois un idiot congénital, vivant dans la forêt. Il croise la route de la jeune Evelyne, martyrisée par l’éducation donné par son père. Pour avoir montré son affection à ce pauvre hère, son père la punit et la frappe. Mais elle se rebelle : son père se suicide tandis qu’elle meurt de ses blessures laissant sa sœur Alicia seule, point de départ cependant pour elle de son émancipation. L’idiot est recueilli par un couple de paysans qui le prend sous son aile, les Prodd. Peu à peu, il apprend à parler et prend le nom de Tousseul. Différent des autres, il est pourtant particulier. Il attire à lui d’autres enfants — car c’est au fond un enfant : Janie, une télékinésiste, les jeunes noires Bonnie et Beanie, qui sont capables de se téléporter. Et puis il y a Gerry, un télépathe. Ensemble, ils forment une communauté d’un nouveau genre, l’ « homo Gestalt », complète avec l’arrivée du jeune bébé des Prodd, un mongolien dont le cerveau est un véritable ordinateur. Ils vont vivre à l’écart des autres mais voilà que Tousseul meurt suite à un accident : il leur recommande d’aller rejoindre Alicia. Ce sera leur première épreuve.
Un roman fondateur
Lire ce recueil de trois nouvelles écrites en 1952-1953 finalement agencé comme un roman laisse le lecteur de 2019 pantois. Tout d’abord, Sturgeon a un ton bien à lui pour décrire ce groupe de jeunes plutôt particulier. L’écrivain sait être élégiaque tout en faisant preuve d’une empathie pour ses personnages qui ne déborde jamais dans le pathos, simplement parce qu’il maîtrise complètement son histoire. Au fond Sturgeon veut nous donner une fable en l’honneur des exclus (il y a un parfum « rooseveltien » chez Sturgeon, on sent que la crise des années 30 l’a marqué) et des gens différents. Il y a aussi cet éloge du groupe que forment ces jeunes mutants : ils sont un et plusieurs à la fois. Leur individualité sert l’ « homo Gestalt ». À l’heure de gloire de l’individualisme triomphant, (re)lire Les Plus qu’humains fait du bien.
Enfin cette histoire de rencontre d’êtres aux capacités surhumaines, qui décide de vivre l’écart de l’humanité, ne peut qu’évoquer à un lecteur averti le comics X-Men lancé en 1963 par Stan Lee et Jack Kirby. Ce dernier lisait énormément de science-fiction et il est possible qu’il ait lu ce roman de Sturgeon. En tout cas, Les Plus qu’humains méritaient donc d’être réédités avec une traduction révisée (bravo à monsieur Durastanti). Ils méritent surtout d’être lus et aimés : chapeau bas monsieur Sturgeon.
Sylvain Bonnet
Theodore Sturgeon, Les Plus qu’humains, traduit de l’anglais par Michel Chrestien et Pierre-Paul Durastanti, J’ai lu, avril 2019, 288 pages, 6,90 eur