Bayard, le “bon chevalier” : la fabrique d’un héros
Docteur en histoire de l’université Paris Sorbonne, spécialiste de l’histoire militaire du Moyen-âge, Thierry Lassabatère s’est fait connaître du public des amateurs en publiant une biographie de Du Guesclin (Perrin, 2015), le connétable de Charles V. S’inscrivant dans le sillage du regretté Philippe Contamine, Thierry Lassabatère s’intéresse au fonctionnement des compagnies, aux tactiques, aux hommes qui font une guerre. Il publie ici une étude qui est le fruit de plusieurs années de recherche sur un personnage célébré pendant près de cinq siècles, un peu oublié de nos jours : Bayard.
Qui est Bayard ?

Au fond, on peut se poser une question très simple : qui était le chevalier sans peur et sans reproche ? Thierry Lassabatère restitue, en critiquant les sources qui sont souvent des hagiographies, l’itinéraire d’un jeune homme issu de la petite noblesse, page au service de la maison de Savoie puis du comte de Ligny, qui se fait remarquer par ses prouesses lors des joutes. Doté d’une forte constitution, très bon combattant, Bayard accompagne son patron le comte de Ligny en Italie. Il s’illustre sur le champ de bataille, devient célèbre en terrassant l’espagnol Sotomayor. Doté d’un bon coup d’œil, respecté de ses hommes et de ses ennemis, Bayard se fait un nom en défendant le pont du Garigliano et puis à Marignan bien sûr. Mais ce n’est pas un stratège comme son ami Gaston de Foix. C’est un homme de « coups », un baroudeur presque. Il a du panache et se comporte très bien (sauf en une occasion) avec les populations civiles. A-t-il réellement adoubé François Ier au soir de la bataille de Marignan ? Rien n’est sûr derrière l’image d’Épinal et le débat reste ouvert.
Un héros mythifié
Bayard incarne largement les valeurs de la noblesse chevaleresque, au moment où celle-ci connaît son déclin. Car les changements technologiques transforment les combats. Les français ont introduit l’usage méthodique de l’artillerie sur les champs de bataille (François Ier gagne à Marignan grâce à elle) et lors des sièges. Le développement des arquebuses rend inutiles les grandes charges de chevalerie où les nobles pouvaient démontrer leur bravoure. Bayard est presque un personnage égaré, sorti du XIVe siècle où s’illustrait du Guesclin. Sa mort – il est tué par un coup d’arquebuse et agonise des heures durant – est le symbole même de ces changements. Ses deux biographes, Symphorien Champier et Jacques de Mailles, vont transfigurer sa vie, somme toute peu différente de celles de ses contemporains, et le transformer en mythe. Il y a un Bayard après Bayard qui va survivre longtemps. Cette biographie le retrace très bien et c’est une grande réussite.
Sylvain Bonnet
Thierry Lassabatère, Bayard le mythe du « bon chevalier », Perrin, février 2024, 752 pages, 25 euros