Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, le long combat contre la dépression de Gilles Paris

S’il a toujours la figure publique souriante et qu’il se donne tellement pour les jeunes lecteurs qu’il rencontre au fil de ses tournées, c’est sans doute qu’il évitait jusqu’à présent la confrontation avec la bête intérieure qui le ronge depuis tant d’année. Car Gilles Paris, auteur de romans lumineux où il regarde le monde à hauteur d’enfants, sans jamais être puéril, est en homme en proie à la dépression. Il en aura fait huit avant de pouvoir regarder en face cet étrange ennemi intérieur. Huit, plus l’impossible combat contre un père abandonnique et exécrable, pour enfin oser regarder sa vie d’homme et s’attacher à ce qui le rend heureux, comme l’essentiel. C’est ce que propose Certains cœurs lâchent pour trois fois rien : la lumière au fond d’une longue nuit.

A propos du père

Ce ne pourra pas être « mon père, ce héros », cet homme qui le frappe, à coup de ceinturon ou de poing, l’abandonne et ne lui laisse pour seul héritage cette phrase si terrible : « tu es une merde ». Renié dès le premier chapitre, pour s’en débarrasser et lui mettre un point final, le père est pourtant présent partout. Chaque chute, chaque tentative de suicide comme un affront à la mort, chaque moment noir, tout le ramène à lui, l’adversaire intime.

Mêmes les pages consacrées à sa mère sont salies par lui. Car cette femme, qui était déjà sous son emprise, n’est plus qu’une épouse abandonnée, détruite par la tristesse, et plus jamais une mère.

Difficile de se construire avec stabilité dans cette manière de solitude, entre un père violent puis absent et une mère effacée puis absente…

L’amie, la soeur, l’amour

Il ne faut pas pléthore de monde pour avoir assez de force pour continuer à vivre. Il faut Janine, la grande amie. Il faut Geneviève, la soeur si proche et si forte. Il faut l’amour d’une vie, Laurent. Ce trio lumineux porte Gilles Paris à travers tous ses combats. Ils lui rendent cette humanité généreuse qu’il s’efforce d’offrir aux autres, entre deux crises. Ils sont ses anges gardiens.

Laurent, l’homme de sa vie d’homme, comme le socle où enfin se reposer, est mis à l’honneur. C’est un pivot dans la vie de Gilles Paris, l’homme de la stabilité. Le portrait qu’il en donne est à la hauteur de l’amour qu’il lui porte et en fait le porteur de sa lumière propre. Qu’il est beau cet amour qu’ils se portent !

Les étapes d’une vie

Certains cœurs lâchent pour trois fois rien est aussi l’occasion pour Gilles Paris de revenir sur les étapes de sa construction. La découverte de sa sexualité, ses premières expériences et ses addictions. Ses nuits parisiennes dissolues où, peut-être, chercher les limites et une figure de père qui ne soit pas négative. Mais aussi les grands moments de joie comme le succès phénoménal de Ma vie de Courgette, et le succès du film d’animation qui remporte deux César et offre une liberté financière.

Qui a la chance de connaître un peu Gilles Paris, ne peut que l’aimer, beaucoup. Alors ce livre peut être un choc terrible. S’il permet de mieux comprendre ses romans passés, tel lieu où il a été interné, telle figure maternelle, telle histoire qui est en fait la sienne, Certains cœurs lâchent pour trois fois rien permet surtout de comprendre que derrière ses sourires, ses élans pour comprendre l’autre, il y avait avant tout un fond d’une incommensurable tristesse. Sa force est d’avoir pu traverser les océans noirs et atteindre « l’autre rive ». Celle où, peut-être, le père n’est plus la. Où il n’est plus cette force qui pousse vers le bas.

Certains cœurs lâchent pour trois fois rien est un vrai beau témoignage, touchant et qui peut donner confiance à ceux qui sont encore pris par la bête de la dépression qu’elle peut être vaincue.

Loïc Di Stefano

Gilles Paris, Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, Flammarion, janvier 2020, 2017 pages, 19 eur

illustration de couverture © Didier Gaillard-Hohlweg, avec l’aimable autorisation de Gilles Paris

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