Talleyrand, la puissance de l’équilibre
En finira-t-on un jour avec le diable boiteux ?
Talleyrand est un personnage à part de l’histoire de ce pays. Le plus célèbre des diplomates français, ministre de Napoléon et de Louis XVIII, n’a pourtant eu le pouvoir que quelques semaines en 1815, après Waterloo, comme président du conseil. Il a pourtant marqué son époque, tant par la force de ses analyses géopolitiques (parfois encore actuelles si on songe à son jugement sur la Russie et son expansionnisme) que par ses traits d’esprits et bien entendu sa corruption notoire (les fameuses « douceurs » diplomatiques). Après une biographie très érudite d’Emmanuel de Waresquiel parue chez Fayard en 2003, Charles-Eloi Vial, auteur de biographies remarquées de Marie-Louise et Marie-Antoinette chez Perrin, s’intéresse à lui pour nous donner un ouvrage coédité avec la bibliothèque nationale de France dans la collection « bibliothèque des illustres ».
Un personnage aux mille visages

Cet album n’est pas une biographie mais se veut une introduction à la vie d’un homme qui a vu la fin d’un monde et la naissance d’un autre. Né dans une famille de la noblesse de cour, destiné à une vie d’ecclésiastique, Talleyrand bénéficie aussi d’une formation soignée. Au sein de l’église, il apprend les finances, la négociation. Il voit aussi la sclérose de l’Ancien Régime et soutient donc la volonté de réforme des débuts de la Révolution. Partisan d’une monarchie tempérée, proche des cercles soutenant le duc d’Orléans, Talleyrand est aussi le témoin d’un processus révolutionnaire bientôt incontrôlable et que Louis XVI radicalise par ses erreurs. Après avoir soutenu la nationalisation des biens du clergé et la naissance de l’église constitutionnelle, Talleyrand se démet de sa charge d’évêque, remplit des missions en Angleterre et… ne rentre pas en France, à raison. Il préfère s’exiler en Amérique et ne rentrera qu’aux débuts du Directoire ; la suite est connue. On est frappés en tout cas par la continuité de ses vues, par la recherche d’un équilibre en Europe rendu impossible par le système mis en place par Napoléon à partir de 1805. Au fond, c’est l’équilibre qu’il cherche à Vienne en 1814-1815 et plus tard lors de son ambassade à Londres en 1830-34 où il contribue à l’indépendance de la Belgique. On découvre aussi qu’il était capable de voir loin, il était par exemple hostile à la conquête de l’Algérie…
Beau travail encore une fois que cet ouvrage, servi par une iconographie riche. Charles-Eloi Vial s’affirme définitivement comme un des meilleurs historiens de la période de la Révolution et de l’Empire.
Sylvain Bonnet
Charles-Eloi Vial, Talleyrand la puissance de l’équilibre, Perrin, mai 2025, 256 pages, 25 euros
