Je ne vais pas mourir, de Thomas Stern

Mourir ou ne pas mourir ? Telle est l’affreuse question qui va être posée à Cornélius dans Je ne vais pas mourir de Thomas Stern. Peut-on vraiment trouver une réponse raisonnable à cette question sans devenir fou ?

La mort de Sardanapale

Fraîchement retraité, ancien directeur de création et vice-président d’une agence de communication, en proie à l’ennui, aux questions existentielles et subissant la lenteur de l’écoulement du temps retrouvé, Cornélius hante les allées du Louvre, pour se planter chaque jour devant « La mort de Sardanapale » de Delacroix.

Fasciné par ce tableau qui représente la mort d’un souverain condamné qui ne veut pas qu’on lui survive, Cornélius vient chaque jour observer les détails de cette scène macabre. Le souverain, refusant de mourir le premier et refusant de mourir seul assiste à l’exécution de ses esclaves et de ses favorites en attendant la sienne.

N’est-il pas inacceptable d’intégrer l’idée que la vie continue après soi ?

N’est-il pas encore plus inacceptable d’intégrer l’idée que la vie continue sans les autres ? Et que pour l’éternité, tout mourra autour de nous ?

Cornélius ne veut pas mourir. Et de toute façon, il va constater rapidement que la mort ne veut pas de lui.

Devant « La mort de Sardanapale », Cornélius entend les premières détonations. Face au carnage à l’huile de Sardanapale, c’est le carnage de sang d’un attentat au Louvre. La mort s’invite plus tôt qu’il ne l’aurait cru, mais elle l’épargne et ne fait que l’effleurer pendant qu’il se cache sous un banc.

L’immortalité de Cornélius

Rescapé de l’horreur, miraculé, Cornélius prend le chemin de Bénarès, en quête de spiritualité. Il y rencontre Ayushmati, une femme d’une grande beauté dont il tombe éperdument amoureux tant elle le fascine. 

Elle est belle, elle est jeune. Jeune ? En réalité, non. Elle est immortelle.

Cornélius découvre un monde ou la spiritualité se déguste en bouillons infectes, en soins cosmétiques antivieillissement, séances de cardio-training, suivis médicaux personnalisés, entre gens éclairés aux portefeuilles bien garnis, avides de longévité. L’élite de l’éternité !

Un soir d’égarement, Cornélius voit une nouvelle fois la mort l’effleurer et manque de s’intoxiquer en se baignant généreusement dans les eaux infestées du Gange. Par malchance, il sera sauvé in-extremis et transfusé avec le sang d’Ayushmati…

Et non, Cornélius ne va pas mourir. Et c’est bien le drame de cette histoire. Et ce qui la rend si drôle.

Thomas Stern, agrégé de philosophie nous livre au travers de ce personnage bouillonnant, un questionnement improbable qui propose de clore tous les débats sur la vie et la mort. 

L’immortalité n’est-elle pas la mort du questionnement ? Du moins, du questionnement d’Homme, car elle en pose d’autres. 

Comment dire non à l’immortalité ? Peut-on réellement refuser de mourir ?

D’abord enchanté par cette nouvelle, Cornélius va vite se rendre compte que vivre pour toujours et survivre aux autres, ce n’est pas si chouette que ça. 

Cette éternité qu’on lui propose ne va pas de soi. Il ne s’agit pas d’un enchantement divin. Elle est le résultat d’une expérience scientifique menée sur Ayushmati par son propre père. C’est une éternité qui s’entretient et qui trouve parfois ses limites.

Je vais m’asseoir au bord de la vie sur mon vieux cul (il s’étonne de l’entendre dire vieux cul) et vous regarder passer, comme des cadavres emportés par le Gange. Je n’aurais plus la joie de vous plaire. Il me restera celle de vous survivre. Et ça vaut aussi pour toi Cornélius, vieil éléphant sans défense. 

Dans ce récit presque burlesque tant les situations sont tordues, Thomas Stern pose, avec un humour féroce, de vraies questions. 

Il met en lumière les dérives du jeunisme à tout prix, à coups de pilules et de jus de citron-gingembre. Le bien-être, comme un slogan publicitaire qu’on nous martèle comme une nouvelle règle absolue se heurte dans l’éternité à la frontière avec le bien-exister. 

Dans ce monde d’êtres humains frôlant la perfection clinique, ou tout le monde est beau, jeune et en bonne santé, ou l’on envisage même de procréer avec une carte d’identité génétique fabriquée de toutes pièces, y-a-t-il encore un sens ?

Si on s’inquiétait de la montée en puissance des robots dans notre société, on n’avait pas imaginé que l’invasion viendrait de l’intérieur.

Réjouissons-nous, nous allons mourir. Et il y a encore la cuisine au beurre…

Elodie Martins Da Silva

Thomas Stern, Je ne vais pas mourir, Kubik éditions, mars 2023, 296 pages, 16,50 euros

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