Augmentus : le futur, l’IA et le cyborg par Olivier Silberzahn
Second roman d’Olivier Silberzahn, Augmentus, chroniques d’un Cyclocentaure parait chez Maurice Nadeau.
Augmentus, étrangement sous-titré Chroniques du Cyclocentaure à l’ère de l’Intelligence Artificielle, nouvel opus d’Olivier Silberzahn va en surprendre plus d’un. Car, déguisé sous les apparences d’une fiction, l’ouvrage ambitionne de nous conter le futur proche de l’Humanité à l’ère de l’avènement du dieu IA. Déjà adepte de la politique fiction avec son précédent ouvrage, c’est pour un voyage prospectiviste que nous embarquons.
Nous suivons ainsi la chronique tenue par le narrateur de mars 2018 (chapitre inaugural Hackaton) à janvier 2069 (chapitre final au-delà des étoiles). Avec ses deux acolytes, Raph et Léa, le chroniqueur dévoile, sous forme d’un journal chronologique, un demi-siècle de mutation. La sienne. Celle du monde.
Co-fondateur d’une star-up tech dans le domaine de l’intelligence artificielle, Cognilink, il a aussi comme particularité étonnante, un attachement à la pratique cycliste. L’alternance des contrepoints sportifs avec le fil chronologique du récit, est de ce point vue là, un réel plus à la course contre la montre qu’il nous décrit. Rien moins que celle de la mutation de l’Humanité, de l’explosion des IA et de la guerre des intelligences !
Premier round : IA faible vs homo sapiens
Les errements, les questionnements des débuts du trio quant au type de recherche à creuser, leur permettent malgré tout de construire un premier prototype. T800, hommage ironique à l’iconique Terminator, voit donc le jour. En mixant les approches connexionniste, symboliste et une prise de risque matérielle (l’avantage pris par les puces Huawei !), leur premier rejeton d’IA faible leur permet de matcher sur le marché si concurrentiel de la recherche en intelligence artificielle. La levée de fonds via des Venture Capitalist et autres business angels, leur permet de survivre et de poursuivre.
Avec ce rêve de se démarquer du troupeau des poneys et de devenir licorne.
Mais pour ce faire, les trois jeunes fondateurs, mix idéal des capacités geeks, nerds et start-upers doivent aussi VRAIMENT penser la finalité de leur projet. Innover l’architecture de la machine, doper l’apprentissage profond, certes mais aussi créer les capacités d’abstraction, l’émulation cérébrale pour aboutir in fine à l’émergence d’une proto-conscience, voix royale vers l’IA forte. Graal consubstantiel de leurs travaux. Et devenir, comme les GafamS qui ont si vite détrônés les cadors de l’ancien monde (cf l’animation ci-dessous à partir de 2008 !), LE nouveau Tycoon mondial.
IA forte : round 2
D’évolution en transformation, de T1000 en T2000, le paysage de Cognilink va être bouleversé. Les biais implantés par des codages forts, dont l’immarcescible loi de la robotique d’Isaac Asimov, si tant est qu’ils ont permis le contrôle initial du projet, seront, malgré toutes ces précautions, inutiles pour empêcher de libérer le fantôme de la machine. Ce ghost in the shell, cher à tout un pan des littératures science-fictives, prêt à survendre un destin post-ap’ à ce futur là.
Cependant, l’alerte est réelle, et les services secrets français par leur bras armé tech l’ANSSI (agence niationale de sécurité informatique), interviennent pour exiger le confinement du Prototype le plus impressionnant de Cognilink : T2000. Car le trio a réussi, une IA forte est née. Terriblement efficace grâce à la réussite de l’idée des fils d’or neuronaux de Raph. Le soupçon n’est plus de mise, une conscience émerge, et la surveiller s’avère une nécessité.
Et comme dans la métaphore cycliste et les objectifs sportifs du héros, à un moment l’entraînement à l’ancienne ne suffit plus. La progression linéaire, la vitesse acquise, la résistance aux frictions, le choix des meilleurs équipements. La prise de conscience des limites physiques objectives est prégnante. Sans l’apport d’un dopage machine, l’alliance de l’Homme avec l’IA, la révolution cognitive en cours ne pourra pas aboutir complètement.
Évidemment, la plupart des comités d’éthique occidentaux mettent encore quelques freins à l’usage de ces techniques à des fins d’amélioration, mais on sent bien que la digue est sur le point de craquer. p217
Ecce Homo Augmentus : round 3
Passé de Génie à Oracle (un peu comme le DR Knows du film A.I. de Spielberg), l’IA de Cognilink aura le temps de réorienter les objectifs de l’entreprise. En créant le biogénérateur parfait, en confiant ses droits d’exploitation à Total, la phase licorne est enfin arrivée. Mais derrière la docilité apparente, T2000 tisse un projet, et programme T-Rogue, un surgeon puîné, disséminé dans le cyberspace. Autonome. Insaisissable. Le risque gain / perte bascule.
Au mi-temps des années 2020, la limite est franchie. Les IA confinées de par le monde, parviennent aussi, les unes après les autres à détourner les DMZ construites autour d’elles. Les pays les plus sécurisés, comme les États-Unis du président Zuckerberg (si, si !) ou la Chine des BatX (les GafamS asiatiques), chacun, dans un processus renouvelé de confrontation pour l’hégémonie mondiale, libère ses forces IA dans une première : la guerre cybernétique IRL. Mer de Chine, avril 2025 : le constat est sans appel. La fière Amérique est battue à plate couture, les IA chinoises envahissent tout ou presque des protocoles américains. La preuve est faite, surtout, de la primauté des structures conscientes fortes. De leur ingérence en cours.
Ce bouleversement entraine aussi l’éviction du narrateur de Cognilink. Entre manipulation par T2000 de ses associés et divergence flagrante sur les enjeux en cours, Il se retrouve libre. Prêt à passer le pas de l’étape darwinienne suivante. Augmenter l’homme. Ecce Homo Augmentus.
Cela tombe bien. Elon Musk a développé la technologie stable idéale. Le Neurolace. La connexion intracranienne entre l’homme et l’IA. Une neuroaugmentation rêvée par le transhumanisme ! L’alliance cybernétique parfaite entre des partenaires. Plus puissante que les forces en présence. 100 élus, riches (le ticket d’entrée est de 200 millions dollars), au QI de minimum 130, seront la phalange apte à porter le futur du monde. À éradiquer le risque des IA fortes et singularisées. À empêcher la destruction en cours de la Terre par l’Homme.
Cyclocentaure et nouveau monde
Et fidèle à ses amours sportives, le personnage devient l’avatar muté connu sous le nom de Cyclocentaure. Il participe alors à l’éradication des IA agressives. De conscientes, elles sont devenues radicales. La corollaire post-ap’ finalement ! Évitée juste à temps ?
Car les Centaures, ces Augmentus autoproclamés, qui maîtrisent les IA alliées, comme celles des GafamS et des BatX, prennent les rênes du monde. Homo Sapiens, assiste alors à la plus folle de ses ères. Une métamorphose complète des schémas économiques et écologiques. Une Pax Cybernetica qui permet à l’humanité de retrouver une forme de paradis originel. Revenu universel Hamoniste compris ! Un Eden qui aura vite un arrière goût de frelaté…
Comme dans Wall-E, l’humanité sous tutelle volontaire, s’est transformée en masse inerte. Connectée au Dream, évolution 3.0 de Facebook. Un monde virtuel qui réduit à peau de chagrin les interactions IRL. Les résultats à moyen terme sont donc désastreux. Atrophie physique et cognitive. Le paradoxe est donc atteint, les Centaures Augmentus atteignent une forme de déité, tandis les humains modernes sont amenés à s’étioler. Évolution vs dévolution. Les Mechas, ce vieux rêve de stade ultime de l’IA, vu par le fabuleux mais incompris film de Spielberg et Kubrick (sur scénario de Brian Aldiss et Ian Watson !), deviendront-ils alors le nouveau stade de la vie ?
Homo Deus, and so what ?
Ne cachons pas plus longtemps mon ÉNORME plaisir à lire Augmentus. Certes, l’on sait ici mon goût prononcé pour les Cyborgs, et les IA même en mode post’ap. Mais le livre d’Olivier Silberzahn m’a littéralement hypnotisé ! Si on peut lui reprocher une profusion de références scientifiques, c’est justement par la capacité à les rendre fluides le plus souvent, que ce soit en génie génétique, en IA, en Neurosciences, en Sciences Humaines et en cyclisme (!) que l’alchimie fonctionne au mieux.
Plus encore, l’amateur de vélo et le praticant que je suis, même affublé de ses limites physiques et matérielles (et un coude cassé depuis 15 jours avec le bras en écharpe), s’est régalé des passages sur le plaisir et l’art de rouler. Ils sont dignes des Jacques Perret, Antoine Blondin et Éric Fottorino, plumes cyclistes s’il en est !
L’écueil principal, et talon d’Achille du raisonnement, des multiples niveaux de lecture du livre, c’est le passage presque kind of magic, des années 2030. Ce saut, quasi quantique, de la civilisation. Comme la fée bleue, la figure maternelle, matricielle et magique dans le film AI (oui encore !). Sans parler des limites réelles relevées par la recherche (voir en pied d’article !). Il fait peu de doutes que cela prendra beaucoup plus de temps, pour que la masse de l’humanité bascule, en Augmentus, comme en mode régressif, et de l’accepter sans réticences ni résistances…Et de balayer l’atavisme de l’humain réfractaire !
Dataisme et silicocratie
Mais en faisant fi des ces quelques contradictions, la richesse des sources les plus à jour qui ont démarré ce récit/fiction/enquête, je reste bluffé par les niveaux de réflexions entamés continûment à la lecture du livre. Entre Greg Egan, Gregory Benford et Greg Bear, une hard-science SF française comme je n’en avais pas lu depuis longtemps (Jean Claude Dunyach en fait ) !
J’ai eu, un instant, fugace il est vrai, de par ma nature de simple Sapiens, l’impression de caresser un soupçon d’Augmentus en moi.
Et ce n’est pas l’un des moindres exploits de l’ouvrage. Révérence et chapeau bas M. Silberzahn.
Marc Olivier Amblard
Olivier Silberzahn, Augmentus, Chroniques du Cyclomentaure à l’ère de l’Intelligence Artificielle, Éditions Maurice Nadeau, 380 pages, 19 eur
À explorer les ressources mises à la disposition du lecteur curieux par l’auteur sur le site dédié à l’ouvrage : Augmentus.fr . Avec des liens vers les recherches en cours et les enjeux stratégiques.
À noter, la conférence du 4 mars, mise en place par l’Unesco : Principes pour l’IA, vers une approche humaniste ?
Cette conférence facilitera le dialogue entre les parties prenantes quant aux bénéfices et aux défis liés à l’IA et à ses applications. Les discussions seront axées sur les aspects universels de l’IA et ses enjeux éthiques, mais également sur les moyens de concevoir des principes centrés sur l’humain, éthiques dans un cadre de coopération internationale.
À lire, a contrario des théories transhumanistes les plus optimistes, ce point de vue de la neurobiologiste Catherine Vidal dans l’entretien avec Erwan Cario dans Libération le 3 mars. Et son livre, Nos cerveaux resteront-ils humains ? Éditions le pommier.
Entretien du 3 mars dans Libération
La matière vivante du cerveau est radicalement différente de la matière inerte des microprocesseurs. C’est une vision totalement invraisemblable qu’il puisse y avoir une fusion entre les deux. Sans compter que l’idée de séparer la pensée du corps relève de la mystique religieuse, mais pas de la démarche scientifique.