Casablanca, le film culte

Voici un livre comme je les aime ! À la fois totalement indispensable et rigoureusement inutile. Je m’explique (sinon on va encore me prendre pour un cinglé) : si vous voulez tout savoir sur le mythique Casablanca avec le couple B-B (Bogart-Bergman et inversement), cet ouvrage répondra à toutes vos attentes. Il raconte la genèse  du projet, le tournage et vous dresse la liste de tous les acteurs participants (y compris les rôles secondaires) et des principaux protagonistes derrière la caméra. 

Mais tout cela repose sur une foule de détails que les non-initiés balaieront d’un revers de la main en grognant « qu’est-ce qu’on en a à faire ? » (s’ils restent polis). Pour ma part, plus il y a de détails d’apparence inutiles, plus je jubile. Quand j’ai écrit mon Dico Insolite, j’ai adoré découvrir d’où proviennent des objets des Tontons flingueurs, combien furent payés les acteurs, etc. Or, Tito Topin suit ici la même démarche, traquant la petite bête avec la passion d’un entomologiste.

Saviez-vous que Don Siegel (réalisateur des Dirty Harry) fut le monteur du film ? Que Jack Benny (To Be Or Not To Be) y fit un caméo ? Que le redoutable Rafael Trujillo, président (dictateur) de Saint-Domingue, profita de son amitié avec Jack Warner pour apparaitre dans le film ? Que Bogart fit engager un acteur pour devenir son compagnon de beuverie ?…

La Tour de Babel

Tito Topin s’amuse à rédiger les biographies de la plupart des intervenants. Car « de tous les comédiens crédités au génériques, trois seulement sont nés aux États-Unis (Humphrey Bogart, Dooley Wilson et Joy Page). » La plupart des autres sont des réfugiés de fraîche date. Ayant quitté leur pays natal pour des raisons politiques (montée du nazisme, répressions russes…) ou économiques (pauvreté, crises…). Beaucoup de juifs dans le lot, trop heureux d’avoir trouvé une simili terre promise sur le sol américain. Et des Allemands qui se sont retrouvés dans des uniformes de militaires qu’ils haïssaient. Plus des Chinois, des Irlandais, des Russes, des Italiens, des Mexicains, un Syrien, un Sud-Africain, un Belge, des Grecs, des Indiens… et, comme de bien entendu, des Français !

Casablanca c’est la Tour de Babel. Des gens venus de partout, ayant traversé des épreuves incroyables, subi des épreuves inouïes pour — l’espace de quelques heures ou de quelques jours — se retrouver dans un même décor, sur le plateau de Michael Curtiz.

Pratiquement tous étaient convaincus de participer à un navet monumental. Scénario mal fichu, personnages manquant d’épaisseur, erreurs historiques flagrantes, rebondissements téléphonés, etc. Le genre de brouillon que l’on oublie vite, comme le cinéma en a produit des milliers. La réaction du public et de la critique étonna tout le monde. Et Casablanca de devenir l’un des rares films authentiquement cultes.

Un film culte

À quoi cela tient ? À l’addition de ces multiples éléments dont nous parle Tito Topin. Plus une sorte d’alchimie proche de la magie. 

Ce livre est d’autant plus agréable à lire que Topin — loin de tomber dans l’idolâtrie figée – ne manque pas d’humour. Il égratigne certains, s’amuse avec d’autres, plaisante dès qu’il entrevoit une faille ou — s’il n’en trouve pas — donne des coups de griffe (et de pied) sur la porte. Une lecture jubilatoire qui, à elle seule, vaut son pesant de cacahuètes — ou de jetons de casino pour rester dans l’ambiance de Casablanca

Loin de se présenter comme une analyse pompeuse, cet ouvrage apparaît comme la volonté de partager l’amour (et le plaisir) pour un film marquant. Topin invite les lecteurs autour d’une table de copains où chacun peut y aller de son commentaire mais où le maitre de céans garde la voix de la sagesse, car il est seul à tenir toutes les cartes en mains. 

Désormais, les amateurs de Casablanca se diviseront en deux catégories (presque ennemies) : les décontractés souriants qui auront lu Topin et les autres, enfermés dans leur rectitude. 

Philippe Durant

Tito Topin, Casablanca, l’aventure d’un film, Lettmotif, mai 2021, 253 pages, 22 eur

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