Tous contre tous, l’année où le chaos l’emporta
Historien américain, Paul Jankowski a déjà été publié en France : on lui doit ainsi Cette vilaine affaire Stavisky (Fayard, 2000) et Verdun. 21 Février 1916 (Gallimard, 2013). Les éditions Passés composés ont traduit l’année dernière Tous contre tous, qui revient sur la période de novembre 1932 à octobre 1933, un moment où notre auteur voit germer les graines de la seconde guerre mondiale.
Un débat qui n’en finira jamais
Au fond, le débat des origines est sans fin. Certains accuseront le traité de Versailles et ses concepteurs d’avoir produit une Europe déséquilibrée et instable. D’autres s’appesantiront sur les effets désastreux de la crise financière de 1929 et de son impact sur les circuits financiers (Jankowski en parle d’ailleurs). Il y a enfin ceux qui estiment que la responsabilité allemande, nazie est écrasante. Bref, un débat qui fait les délices des spécialistes.
Une année charnière
Ceci dit, l’ouvrage de Paul Jankowski, malgré quelques problèmes de traduction, présente une année charnière. Durant la période étudiée, c’est l’idée de coopération qui peu à peu s’effondre. Sur la crise en Mandchourie et la réponse à apporter à l’agression japonaise, la Société des nations et les grandes puissances n’arrivent pas à s’accorder, se figeant dans une impuissance qui annonce bien des crises à venir. Sur le plan économique, la question des dettes de guerre sème la discorde entre les démocraties. La France refuse de payer les États-Unis, la Grande-Bretagne s’y résout une dernière fois. En fait, ces dettes dépendaient du paiement des Réparations, suspendues par l’Allemagne avant que la France, acculée, ne consente à leur abandon. Or ce sont les prêts américains à l’Allemagne qui faisaient tourner l’économie germanique, permettant le paiement à la France qui à son tour payait l’Allemagne : un circuit économique qui fonctionnait… Et qui nécessitait la coopération, ce qui fait défaut en 1932-1933.
Et Hitler vint…
L’accession d’Hitler à la chancellerie est une demi-surprise, le parti nazi ayant perdu deux millions de voix aux dernières élections. Pour autant, son programme est connu et l’évènement est vu comme annonciateur de catastrophes, en France comme en Pologne. Sa politique antisémite révolte les opinions publiques anglaise et américaine, autant que la fin de la démocratie de Weimar. Mais c’est tout. Plus de coopération, chacun pour soi, les États-Unis se concentrent sur le New Deal, Roosevelt dévaluant le dollar avant une conférence internationale sur l’économie. En fait la grande leçon de la période est la suivante : sans régulation, sans coopération internationale (et avec des institutions, celles créées après 1945 par exemple), c’est le chaos qui l’emporte. Une leçon pour notre présent ?
Sylvain Bonnet
Paul Jankowski, Tous contre tous, traduit de l’anglais par Antoine Bourguilleau, passés composés, octobre 2022, 384 pages, 25 euros