Tron : Ares, beaucoup de bruit pour rien?

Eh bien, n’ayons pas peur de commencer en spoilant, ou tout au moins en pitchant, puisque le pitch de Tron : Ares (troisième volet de la franchise Disney Tron) a déjà été donné par le poète latin Horace il y a deux millénaires : « Graecia capta ferum victorem cepit. » Ce qui, traduit en gaulois d’aujourd’hui, donne : « La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur. » Cela signifie tout simplement que la victoire des Romains sur les Grecs n’a été que militaire et qu’ils ont été très vite contaminés par l’esprit et le mode de vie de leurs adversaires.

Tron : Ares est tout entier construit sous le signe du retournement. À l’inverse de ce que nous avions pu voir précédemment — en particulier dans le premier Tron —, il ne s’agit pas ici de faire entrer un humain dans les circuits d’un système informatique, mais, dans le cadre de ce qu’on définira, pour aller vite, comme une guerre entre deux multinationales gafamesques, de faire sortir une créature (un « programme ») informatique, Ares, de la Machine afin d’aller régler définitivement son compte à l’adversaire. Nous avions bien le droit de citer du latin en commençant puisque Arès chez les Grecs n’est autre que l’équivalent de Mars, autrement dit du dieu de la guerre, chez les Romains (1).

Mais ce premier retournement « topographique » en entraîne un autre, plus profond, et allant contre les idées (d’ores et déjà) reçues sur l’IA. Celle-ci est en effet souvent dénoncée comme le Léviathan qui va déshumaniser très rapidement les malheureux mortels que nous sommes. Dans Tron : Ares, cette hypothèse n’est d’ailleurs pas totalement exclue et apparaît à travers certains personnages/programmes, mais, fondamentalement, c’est le contraire qui se produit. En allant attaquer les humains, l’IA s’humanise et est même prête à devenir impermanente, autrement dit mortelle, pour gagner un statut totalement humain, cette renonciation n’étant que le prix – somme toute assez peu élevé — à payer pour conquérir la liberté.

Sujet digne, donc, d’une tragédie antique. D’où vient alors que ce Tron : Ares ne parvient que très rarement à vraiment nous émouvoir ? D’au moins deux défauts. Le premier, c’est, d’un bout à l’autre, une débauche d’effets spéciaux, admirables sans doute d’un point de vue technique – une séquence-hommage au premier Tron montre le chemin parcouru en quatre décennies… —, mais assez peu compatibles avec cette chose définie comme indéfinissable et qui constitue le cœur du sujet — la naissance d’un sentiment. Le second défaut, d’un bout à l’autre là encore, c’est la musique des Clous de 22,86 cm, ininterrompue et tonitruante. Il est recommandé de se munir d’une paire de boules Quies avant d’entrer dans la salle. Croyez-le ou non : le tintamarre est si fort que les rangées de fauteuils se mettent très souvent à vibrer. Choix tout autant contre-productif, puisqu’on imagine que cette musique avait au départ pour fonction de renforcer le caractère potentiellement émouvant de certaines séquences. Dommage : la trame générale de Tron : Ares mérite d’être saluée, puisqu’elle s’oppose à la morosité systématique ambiante qui voudrait se faire passer pour un effort de réflexion, mais, craignant sans doute que cette trame ne soit trop simple, les scénaristes ont jugé bon de « l’enrichir » d’un flot de péripéties, sinon kafkaïennes, du moins peu accessibles — ne serait-ce qu’à cause du jargon technique qui les enveloppe — aux spectateurs ignares (dans notre genre) qui n’ont pas pour livres de chevet des traités d’informatique quantique.

FAL

Tron : Ares. Un film de Joachim Rønning, avec Jared Leto, Jeff Bridges, Greta Lee, Evan Peters, Gillian Anderson. 1h59.

(1) Rappelons que l’Aréopage, tribunal suprême d’Athènes, était ainsi nommé tout simplement parce qu’il se trouvait sur la colline d’Arès.

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