Edward Bernays, l’homme qui murmurait à l’oreille des foules

Un ouvrage de vulgarisation sur le démoniaque Edward Bernays ? Forcément alléchant, tant le personnage est incroyable par lui-même (sa longévité, le fait qu’il soit le double neuve de Freud — oui, c’est possible), et par son œuvre. Las, Edward Bernays, l’homme qui murmurait à l’oreille des foules n’est qu’un opuscule décevant.

propaganda

Edward Bernays (1891 – 1995) et l’un des inventeurs de la propagande moderne, aux côtés de Walter Lippmann (1889 – 1974) et de Ivy Ledbetter Lee (1877 – 1934), ce dernier étant est considéré comme le père fondateur de la profession des relations publiques. Si Bernays n’a rien inventé, il a est devenu célèbre par quelques faits éblouissants de manipulation.

On doit à Bernays d’avoir su, ayant lu Gustave Le Bon, manipuler l’opinion publique en utilisant presque toujours un argument qui vantait tout sauf le produit et un tiers de confiance. L’industrie américaine ne vend pas assez de bacon et de céréales ? il utilise des médecins comme caution morale et l’esprit patriotique du petit déjeuner à l’américaine pour en inventer un de toute pièce et faire la richesse de ses clients. L’industrie de la cigarette veut développer son marché auprès des femmes ? il fait poser des mannequins cigarette au bec, de très belles femmes, modèles s’il en est de liberté, et les ménagères vont vouloir s’y reconnaître, et consommer à leur tour des cigarettes. Cela fonctionne parfaitement, et met toujours en équilibre un produit à vendre, une image associée contre-naturelle ou totalement sans rapport, un tiers de confiance (médecin, juriste, autorité morale, etc.) et ce que l’on vend, ce n’est pas le produit, ni même l’image qu’on lui donne, mais le sentiment que cela va procurer de l’acheter. Se sentir, fier, fort, américain ! (1) Fier, et Américain, comme cet oncle Sam de l’affiche de recrutement « I need you » au succès inaltérable, qu’on lui doit également.

S’il na rien inventé, Bernays a su tirer profit de son ingéniosité et de la « science » de tonton Freud, même si ce dernier le rejetait comme héritier intellectuel de ses recherches. Manipulateur plus que scientifique, il pose dans son livre, Propaganda (2), « le manuel classique de l’industrie des relations publiques » (Noam Chomsky), comme une manière d’écrire un peu lui-même sa légende. Quoi qu’il en soit, il aura marqué considérablement l’art de manipuler les foules, de les enfermer en leur vendant leur propre liberté (pensez Covid…),

une déception

En quoi un tel ouvrage, rappelant les « mérites » d’un si fieffé coquin, pourrait-il être décevant ? En quoi faire redécouvrir l’homme derrière les méthodes de manipulation de masse largement utilisées de nos jours pourrait ne pas être intéressant ? Pour la simple raison qu’il n’apporte rien et qu’il est très mal écrit.

Il n’apporte rien parce qu’il accumule ce que l’on sait déjà, et il l’accumule mal. Il n’y a rien dans ce livre qui ne soit déjà dans n’importe quel manuel de vulgarisation, n’importe quel petit contenu Internet… Mal, parce que son travail pose les faits sans y ajouter les analyses qu’on pourrait attendre d’un spécialiste. Son récit est convenu, peu convainquant, en un mot laborieux.

Yann Cassar est pourtant un bon spécialiste d’Edward Bernays, et on préfèrera son entretien Edward Bernays et la propagande moderne, disponible sur YouTube, à cet ouvrage, qui n’en est finalement qu’un ersatz. Qu’au moins cet opuscule fort onéreux par rapport à son apport en intelligence soit le premier pas vers Bernays, cela le sortirait de sa quasi totale inutilité.

Loic Di Stefano

Yann Caspar, Edward Bernays, l’homme qui murmurait à l’oreille des foules, préface (inutile) de Claude Chollet, La Nouvelle librairie édition, « observatoire du journalisme », avril 2023, 78 pages, 7,50 euros

(1) L’industrie du lait n’a pas fait autre chose en prétendant libérer la femme de la contrainte d’allaiter (geste naturel et sain) en achetant son lait en poudre (certifié meilleur pour la santé par des médecins). La Poste récemment en France vous vante la liberté de poster n’importe quand une lettre en imprimant vous-même votre timbre, mais le gagne, qui n’imprime plus des quantité astronomiques de papier, c’est la Poste, votre liberté est un argument fallacieux…

(2) Traduction française avec une préface de Normand Baillargeon aux éditions Zones, 2007.

Laisser un commentaire