« Une autre histoire » de Sarah J. Naughton
Autant de vérités que de mensonges, et chacun n’étant que la face cachées des trois histoires qui s’entremêlent dans le très bon quoi que classique — et d’abord déroutant — thriller psychologique de Sarah J. Naughton, une Autre histoire.
Si la lecture commence assez lentement, parce qu’il faut à l’auteur installer chacun des personnages et qu’elle le fait alternativement, et qu’elle a un style un peu trop porté sur les allers-retours dans le temps, il faut faire confiance à Sarah J. Naughton et insister. Une fois les faits posés, le rythme s’accélère très agréablement, et nous voilà plongés dans une enquête familiale où chaque souvenir peut être un mensonge ou simplement un vieux ragot (le titre anglais, Tattletate, qui signifie commérage, nous renseigne là-dessus), mais surtout où la vérité semble quelque chose de dérisoire…
Abe a chuté du 4e étage de l’église reconvertie en squat où il vivait. Il est dans le coma, et personne, ni les membres de sa communauté ni sa fiancée Jody, ne semblent avoir la moindre idée de la raison de cette chute. Suicide ? meurtre ? accident ? Alertée, Mags, sa soeur exilée aux Etats-Unis, part immédiatement à son chevet, et retourne dans ce pays qu’elle a quitté il y a longtemps, pour fuir son propre passé, sa propre histoire. Jody elle-même a un passé pour le moins trouble, et Une autre histoire tisse très habilement ces trois vie et ces trois enquêtes sur un socle commun qu’il va falloir découvrir.
Y a-t-il une sale histoire de moeurs, d’abus sexuel, comme cela est sous-entendu ? D’autres secrets ? Tout l’art de Sarah J. Naughton est de nous dérouter tout au long de la lecture de son autre histoire, de ne pas laisser le moindre espace de clarté… Mags qui change d’humeur et est totalement imprévisible, est parfois vraiment horripilante et antipathique, puis touchante, alors que Jody est plus effacée, totalement emportée par le coma d’Abe. Et même ce que l’on nous dit d’Abe avant son accident n’est pas simple, toujours sujet à interprétation, comme si rien n’était solide dans cette histoire de mémoires et de secrets… La complexité des personnages et leur « vérité » (parfois certains vont vous énerver, puis vous attendrir, puis vous désoler…) les rendent vraiment crédibles, vivants, dans leur incohérences mêmes.
L’air de rien, on est pris à la gorge par Une autre histoire, où rien ni personne n’est vraiment conforme à l’idée que le lecteur s’en fait. Parfois, même, un peu moins bien… mais c’est tout l’art de Sarah J. Naughton que de nous émouvoir au point de nous perdre !
Loïc Di Stefano
Sarah J. Naughton, Une autre histoire, traduit de l’anglais par Pierre Szczeciner, Sonatine, mars 2018, 407 pages, 21 euros