Contre François Truffaut

à propos des Chroniques d’Arts-Spectacles (1954-1958), mais pas que

Je n’ai jamais aimé François Truffaut. Ni son œuvre, ni le bonhomme.

Dans ma jeunesse, voulant parfaire ma culture cinématographique, je m’étais forcé à aller voir certains de ses films. Pas de chance, je suis tombé sur L’Histoire d’Adèle H et La Chambre verte ! Cerise sur le gâteau : lors d’une rétrospective voici que, comble de ravissement, je visionne L’Enfant sauvage. Ma joie était à son comble. Au point d’en avoir envie d’étrangler ce Truffaut dont on me rabattait les oreilles et que je rebaptisais (jeu de mots facile — mais François en a fait de pires) Tout-faux ! Passent encore que ces sujets soient aussi soporifiques que prétentieux mais quand, en plus, il nous impose sa bobine, concourant au titre de pire acteur du cinéma français (qu’il partagea avec Jean-Pierre Léaud… sa découverte), cela provoqua une ire durable.

Donc Truffaut : non ! 

Pas même le critique qui, du haut d’un perchoir qu’il s’était lui-même construit, donnait des leçons non seulement à tout le septième art français mais aussi aux spectateurs et à ses confrères. Seule la parole truffaldienne devait être admise. Par sa prose et son comportement, il a ouvert les portes à une génération de critiques qui se sont érigés en grands papes de l’art cinématographique sans être foutus de pondre la moindre bulle. 

Ma colère contre ce brave François grimpa d’un cran quand, travaillant sur les œuvres de Michel Audiard, je tombais sur sa critique de Retour de manivelle, subtilement intitulée : « Le règne du cochon de payant est terminé ». Alors là, le petit père du peuple bien-pensant se déchaîne : « Il y a aussi les dialogues de Michel Audiard qui dépassent en vulgarité ce que l’on peut écrire de plus bas dans le genre ; ce n’est pas un dialogue naïf ou faussement littéraire, mais cynique et roublard. Il prouve de la part de Michel Audiard, un triple mépris du cinéma, des personnages du film et du public en général. » Voici très exactement ce que j’admire chez Truffaut : non content de ne pas aimer les dialogues (ce qui est son droit), il se glisse dans la tête de leur auteur et estime (sur quelle base ?) qu’il méprise le public ! Ben voyons. Et c’est pas mépriser le lecteur que de lui imposer ce qu’il doit penser ?

Telles furent sa ligne de conduite et sa ligne de mire. Il aurait pu se contenter de dire : « Ce que vous faites n’est pas bon ! » ou, plus intelligemment, « Je n’aime pas ce que vous faites ! » mais non il faut qu’il sorte sa baguette de professeur et dise : « Voilà ce que vous auriez dû faire ! ». Il était obsédé par cette détestable manie en voyant un film d’en vouloir un autre !

Personnellement, je déteste L’Enfant sauvage mais je n’ai jamais eu aucune envie de dire à son auteur comment il aurait pu faire un bon film sur un même sujet. En revanche, j’ai eu très envie de lui conseiller d’aller faire un (long) séjour chez les Hellènes.

pourtant, un livre important

Je reconnais l’influence de Truffaut, le fait que bien des cinéastes à la vue courte s’y réfèrent, même si je ne comprends pas. Mais peu importe. 

Car, dans le même temps, je reconnais l’importance de ce livre qui regroupe toutes ses critiques parues dans la revue Arts. Non que je partage ses points de vue, loin s’en faut, mais sur le plan strictement historique cela permet de passer en revue un pan du cinéma de 1954 à 1958. Et de mieux percevoir la mentalité de M. Truffaut.

Tout le cinéma n’y est pas représenté car il préférait les drames, les mélodrames, psychodrames, machins drames et, parfois, les polars aux comédies, grands films d’aventure et autres genres estimés trop populaires donc, pour reprendre son antienne, méprisant le public. Néanmoins, on y apprend une foule de choses sur le cinéma français (le plus largement représenté) et son évolution durant cette période charnière qui précéda la Nouvelle Vague.

Question mentalité, François Truffaut n’était pas d’une rigueur exemplaire. Estimant d’un côté que le public se fourvoie trop souvent dans des œuvres « faciles » et se réfugiant parfois derrière lui pour s’en prendre à des cinéastes. La pensée unique, c’était pas son truc.

Tout au long du livre on trouve des « tout le monde » qu’aime bien manier François pour justifier ses prises de position bancales. Il brandit ces « tout le monde » sans jamais préciser qui se cache derrière ce terme passe-partout. Un vrai petit bonhomme politique !

Ce qui m’a frappé à la lecture de ce copieux ouvrage est l’incroyable érudition de Truffaut. Il a tout vu, ce qui est un peu normal pour un critique professionnel mais, surtout, il a tout retenu, ce qui autrement plus difficile ! Il est capable de sortir du passé un morceau de film, un bout de réplique pour les comparer à une œuvre récente. Une mine d’informations qui en devient fascinante. On peut critiquer ses critiques mais on doit admettre qu’elles sont étayées par des exemples précis, des références en béton. Dans la grande histoire du journalisme français, bien peu ont été ou sont capables d’un tel étalage de précision. Redoutable !

Cela ne l’empêcha pas d’écrire des billevesées. Appliquant ses principes « je sais mieux que tout le monde » et « je saute à la conclusion même si je dois l’inventer », il se permet des raccourcis prêtant à sourire. 

Ainsi, écrit-il benoitement : « En 1947, on comptait 420 millions d’entrées, en 1951 on enregistrait seulement 372 millions. Cette diminution peut s’expliquer par l’évolution du goût du public qui témoigne d’une plus grande exigence. » C’est quoi cette conclusion à la con ? Elle se base sur quelle étude ? Sur rien ! Elle repose sur ce peut. Cette diminution peut aussi s’expliquer par une épidémie de rougeoles, par l’arrivée de Martiens et par l’absence de confort dans les salles de cinéma. Du pur Truffaut !

Dans un autre article, Herr Doktor s’autorise le droit de classer les réalisateurs français en catégories : ambitieux, semi-ambitieux, commerciaux honnêtes, délibérément commerciaux (la honte absolue !). Ceci en fonction de critères établis par M. Truffaut, votés par M. Truffaut et adoubés par M. Truffaut. Inutile de se gratter la couenne pour constater qu’il ne se considérait pas comme de l’urine féline…

Bien entendu, à chaque Festival de Cannes, il s’empresse de dresser la liste des films que les responsables auraient dû choisir. Mais bien entendu, on n’aurait dû l’écouter. Comme on aurait dû écouter tous les critiques de tous les journaux. Ah non : Truffaut d’abord ! Faut pas mélanger les torchons et les serpillères.

A contrario François parle bien de ce qu’il connaît : son métier. Dans un long article intitulé Les 7 péchés capitaux de la critique, il rappelle les éléments indispensables pour faire un bon critique de films (race dont il fait partie, of course). Article que, plus de soixante ans plus tard, on peut expédier aux critiques d’aujourd’hui, qu’ils sévissent dans les médias ou… sur Internet !

J’arrête de tirer sur le pianiste car ce livre est si riche qu’il contient autant de perles d’une rare acuité (quand il parle d’Hitchcock ou même de Guitry) que de bévues indignes d’un gamin de sept ans. 

Mais, encore une fois, j’insiste sur le fait que ce livre est indispensable. On ne peut pas estimer connaitre Truffaut sans l’avoir lu. De même qu’on ne peut pas comprendre l’émergence de la Nouvelle Vague sans avoir saisi la mentalité de Rastignac d’un de ses plus célèbres représentants. 

Surtout, je voudrais féliciter — et le terme est faible — M. Bernard Bastide pour son travail. À lui que l’on doit les innombrables notes qui émaillent chaque page et permettent de resituer la prose truffaldienne dans son contexte historique. Un travail d’une précision remarquable. Il ne s’agit pas seulement de donner les noms des réalisateurs ni les titres originaux mais de rappeler des faits précis. Pour y parvenir, M. Bastide a dû fouiner, chercher, traquer et il y est parvenu. Grâce à lui ces pages reprennent vie alors que, à l’état brut, elles nous auraient paru moribondes. De plus — et c’est tout à son honneur —, il fait montre d’une honnêteté d’authentique historien. Par exemple, dans un article sur le Festival de Cannes, François, dressé sur son coq, balance à grands coups de « c’est lui qui », ses propres vérités, sans avoir à aucune moment vérifié ses sources (il adorait les « on-dit » !). Article qui provoqua une volée de bois vert et une série de remises en cause. Eh bien, M. Bastide publie tous les courriers indignés, même si cela écorne (un peu plus) la légende de Truffaut. Bravo !

Je voudrais terminer par une phrase pertinente de François Truffaut mais qui, si on regarde sa carrière de cinéaste, s’est retournée plus d’une fois contre lui : « On peut bluffer un public de festival, non le public “payant” de tout un pays. » Ah bon ? Le public a-t-il toujours raison, M. Truffaut ? Et les « payants » ne sont-ils plus des cochons ?… 

T’aurais jamais dû faire L’Enfant sauvage, mon gars.

Philippe Durant

François Truffaut, Chroniques d’Arts-Spectacles (1954-1958) – Textes réunis et présentés par Bernard Bastide, Gallimard, mars 2019, 24 euros.

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