« La villa » de Robert Guediguian, entretien

Robert Guédiguian propose l’une de ses œuvres dont il a le secret, teintée de nostalgie et d’optimisme. À travers deux frères et une sœur réunis autour d’un père à la santé plus que défaillante, il dresse un portrait du monde qui les entoure. Un monde qui ne sait plus très bien où il en est déchiré entre la nécessité de rester accroché au passé et l’obligation de courir après l’avenir. À l’image de ce petit port de pêche [la très sympathique calanque de Méjean à Ensuès-la-Redonne, quelques kilomètres à l’Ouest de Marseille] qui tente de rester « dans son jus » tout en sachant que le tourisme et le progrès vont finir par le rattraper et le défigurer. La « troupe » habituelle de Guédiguian est au rendez-vous. Les amis du cinéma mais aussi ceux de la vie quotidienne puisque le réalisateur a tourné dans un lieu où il habite (quand il est dans le Sud !) depuis de nombreuses années.

 

Entretien

 

Vous avez donc pratiquement filmé chez vous ?

C’est-à-dire que c’est un endroit où je vais depuis très, très longtemps et que j’aime beaucoup. Ça fait des années que j’imagine d’y situer un film. L’hiver surtout. Pas l’été avec les baigneurs et tout ça mais l’hiver parce que c’est triste est beau à la fois. C’est mélancolique. On se dit qu’il a forcément dû se passer des choses dans tes temps anciens à cet endroit. Tout cela me fait penser à un western quand le héros arrive dans une ville fantôme autour d’une mine abandonnée. Il pousse la porte du saloon mais plus personne n’y habite. Cette calanque me donne un peu cette impression. Même si l’hiver il y a toujours des gens qui y habitent avec des gens, en plus, qui viennent les week-ends.

 

C’est donc le lieu qui a initié l’histoire ?

Non, je me suis dit que ce lieu conviendrait parfaitement pour raconter une histoire à la manière de Tchekhov. C’est un auteur que je connais bien et je voulais arriver dans un petit espace, avec très peu de personnages, à montrer où en est le monde d’aujourd’hui et comment les temps ont changé. En restant dans cette villa, dans ce port, on va essayer, à travers plusieurs personnages de différentes générations, de raconter le monde d’hier, celui d’aujourd’hui et les possibilités celui de demain. Après, il fallait étoffer tout ça.

 

Ariane Ascaride, Jean- Pierre Darroussin et Gérard Meylan © AGAT FILMS & CIE / France 3 CINEMA

 

Comment construisez-vous vos scénarios ?

Je tiens toujours à ce qu’il y ait une lisibilité au premier degré, quelque chose de fluide qui est du ressort du spectacle. Donc il faut des personnages auxquels on s’identifie. Avec, autour, un récit. Après, il peut y avoir mes théories sur l’avenir du monde mais il faut d’abord un film lisible. C’est pour moi, la clef du cinéma populaire. Ma référence c’est John Ford. Vous pouvez aussi bien analyser un de ses films sur 800 pages ou vous asseoir, regarder le film et comprendre tout ! Il y a des strates qu’on peut lire ou pas. Si on reste au premier niveau, on prend aussi du plaisir. J’ai toujours pensé cela. J’ai toujours été préoccupé par le public. Je revendique très fortement la notion de cinéma d’auteur mais pour moi le cinéma d’auteur doit être un cinéma populaire.

 

Pourquoi travailler avec les mêmes acteurs ?

Parce qu’au fil du temps s’est construit comme un feuilleton avec des personnages récurrents. Ou plutôt des acteurs récurrents car s’ils jouent parfois des personnages similaires, ils ne sont jamais identiques. Et puis ça me permet de jouer avec tout ça. C’est vrai que depuis trente ans, j’ai l’impression de faire une sorte de feuilleton.

 

Pouvez-vous imaginer que l’un de vos acteurs refuse l’un de vos projets ?

Non ! Ça ne peut pas arriver… Il peut y avoir des complications pour des problèmes de dates, parce qu’ils sont engagés ailleurs mais on arrive toujours à se débrouiller. Mais, un refus, non !

 

Anaïs Demoustier et Jean-Pierre Darroussin © AGAT FILMS & CIE / France 3 CINEMA

 

Vous leur « volez » beaucoup de choses ?

Tout auteur se sert de ce qui se passe autour de lui. On pille en permanence, des impressions, des phrases. Au plus les gens sont proches, au plus on leur prend. Shakespeare disait qu’un auteur est une éponge. On prend, on transforme. On prend aussi aux lieux. Marius et Jeannette, par exemple, s’est tourné dans la cour de la maison de mon meilleur ami. Il m’a dit après : « Je voyais que tu trainais là à rien foutre, à boire du rosé, je me doutais que t’allais me coller un film dans ma cour ! » Il y a toujours ce risque avec moi…

 

Est-ce votre film le plus personnel ?

Ce n’est pas forcément mon film le plus personnel mais c’est le film dans lequel je parle le plus directement, ce qui n’est pas tout à fait pareil. C’est-à-dire qu’il y a pas mal de conversations entre les personnages qui sont des conversations que je fais avec moi-même. Les séquences entre les deux frères vont complétement dans ce sens. Ariane [Ascaride] dit que c’est film est mon journal intime et je trouve que c’est juste. Par exemple tout ce qui concerne les chemins qu’il faut débroussailler appartient à mon intime conviction.

 

Propos recueillis par Philippe Durant 

 

LA VILLA

un film de Robert Guédiguian

Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier

1h47 – sortie le 29 novembre

 

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