Harold ! – Ma jeunesse avec Harold Pinter

« Un Pinter intime comme on ne l’avait jamais montré », nous promet l’éditeur. Intime ? Oui, cette promesse est tenue, puisque Harold ! – Ma jeunesse avec Harold Pinter a pour auteur Natasha Fraser. Celle-ci a une douzaine d’années lorsqu’elle assiste au divorce de ses parents et au remariage de sa mère, l’aristocrate Antonia Fraser, historienne dont les ouvrages sont encore aujourd’hui des bestsellers en Angleterre, avec le fils d’un modeste tailleur juif. Surprenant, sinon shocking, ce mariage de la carpe et du lapin ? Oui, pour quelques personnes comme ce docteur Harrison chargé de soigner la jeune Natasha lorsqu’une morsure infligée par un chien lui infecte la main, mais quand le lapin — on l’aura compris — se nomme Harold Pinter, la noblesse de plume compense aisément l’absence de noblesse de robe.

Natasha Fraser évoque donc les années — essentiellement soixante-dix — pendant lesquelles elle a quotidiennement côtoyé « Harold », mais, comme l’indique en creux le sous-titre de son livre, les amateurs des pièces de Pinter trouveront dans ces 250 pages bien peu de révélations sur le mystère de la création littéraire. On apprendra, certes, la couleur du papier sur lequel le dramaturge a pu écrire Le Gardien, L’Anniversaire ou C’était hier, mais on cherchera en vain quelque indication que ce soit sur ses sources d’inspiration. Pas grand-chose non plus sur son travail pour le cinéma : sa collaboration avec Losey, qui lui doit les scénarios d’Accident et du Messager, fait l’objet de quelques très allusifs paragraphes. On ne voit jamais les deux hommes côte à côte, alors qu’il a bien dû leur arriver de s’asseoir à la même table quand ils préparaient un film.

Toutefois, présence de Pinter oblige, on croise beaucoup de monde à travers les souvenirs de cette jeune fille anglaise modérément rangée. Ici, une anecdote sur Yul Brynner, où l’on apprend que le chauve, sous ses allures de beau ténébreux, pouvait être imbuvable : il fit un jour virer un malheureux accessoiriste qui avait eu l’audace — ô crime impardonnable ! — de siffloter dans les coulisses. Là, un portrait de Mike Nichols, le réalisateur du Lauréat. Là encore, trois pages sur Robert Shaw, le méchant de Bons Baisers de Russie et le soliloqueur des Dents de la mer. À retenir aussi, un portrait du producteur pré-weinsteinien Sam Spiegel, auquel Natasha Fraser a d’ailleurs consacré un livre entier… Certaines références hyperbritanniques auraient sans doute mérité une note de bas de page à l’intention du public français, mais on sait que les éditeurs n’aiment pas cela, et le mystère fait de toute façon aussi partie du charme de l’ouvrage.

Car si ces anecdotes restent sans doute un peu superficielles, c’est peut-être dans cette « architecture du vide » que se dessine le mieux la figure (le fantôme ?) de Pinter : on sait bien que c’est ce que les Anglais appellent le subtext – autrement ces silences perfides qui se cachent entre les lignes – qui constitue l’essentiel du théâtre de Pinter. Si la plus grande ruse du diable est de nous faire croire qu’il n’existe pas, la ruse d’Harold ! est de nous parler assez peu de Pinter pour n’en être que plus pintérien.

FAL     

Natasha A. Fraser, Harold ! Ma jeunesse avec Harold Pinter, Grasset, octobre 2023, 256 pages, 22 euros

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