Danser encore, vie du boxeur tsigane Rukeli
Charles Aubert quitte les rivages du polar pour s’intéresser, avec Danser encore, au destin de Johann Trollmann, jeune tsigane allemand qui briguera le titre de champion national avant de mourir dans un camp de concentration. Rukeli, à la grâce sans pareille, traversant une période historique d’une écrasante pesanteur.
Un fils du vent
C’est l’élégance même de Rukeli qui va faire son ascension, et sa chute. Il a une détermination sans faille et une grâce naturelle, si bien que sur un ring, qu’il découvre tôt, il danse autour de ses adversaires. Puis les mets au tapis. La boxe, alors, est réservée aux arrières salles, elle ne deviendra un sport officiel que pour perdre sa raison même mais étant conforme aux diktats du IIIe Reich. Le style allemand devait alors signaler la puissance et la robustesse de deux forts gaillards qui se tapaient dessus à tour de rôle dans bouger…
Avant cela, Rukeli apprend, progresse, forge son style, et gagne ses premiers combats. Il gagne aussi le cœur de celle qui sera sa femme. Et rencontre son agent, qui le hissera au niveau professionnel. La gloire au bout des poings, et des nombreux efforts consentis pour l’atteindre. Il battra les meilleurs, apprendra de ses défaites, s’endurcira tout en conservant son style unique. Le titre est à sa portée, tout comme une qualification pour les jeux olympiques.
Mais malgré ses victoires, l’un et l’autre lui sont refusés. Il gagne sur le ring, le public l’acclame, mais il est déchu du titre et remplacé pour les jeux. Quel motif ? Il n’est pas aryen.
Sport et politique
Bien qu’ancrée en Allemagne depuis plusieurs générations, la famille de Rukeli est tsigane : cheveux noirs, teint sombre. Des sous-hommes pour le IIIe Reich qui décidera bien rapidement de leur élimination, au même titre que les Juifs, les homosexuels, les malades mentaux…
Danser encore est autant un hommage à la boxe qu’un plaidoyer contre la haine. On rencontre nombre de grands du noble art, comme Carpentier, mais aussi des entraîneurs, présidents de fédérations, et le public qui vibre quand il n’est pas mu que par une folle idéologie pour celui qui se donne à corps perdu, celui qui combat, et qui gagne. Mais l’époque est à la folle idéologie. Et il va petit à petit tout perdre, son peuple chassé jusque dans le bois, sa famille, dont un petit frère trop fragile, sa vie même, dans un camp de concentration d’une ânière plus que grotesque. Perdre aussi ses alliés, ses amis, la considération des autorités de son sport parce qu’il ne boxe à l’allemande ! Mais il va garder, toujours, cette force qui a fait de lui un champion extraordinaire, son courage et sa pugnacité.
Danser encore est un grand roman, d’émotion et d’intelligence, qui ne dit que le réel et parvient à bouleverser parce que tout ce qu’il ajoute, tous les interstices qu’il comble, le sont naturellement. C’est le grand roman d’un talent fou, d’un courage hors normes, et du mur de la folie des hommes contre lequel il est venu, comme un poing, s’écraser. Sans rien céder à son art, si virevoltant, son état d’esprit, celui d’un grand boxer, d’un homme juste et droit. Mais sans pouvoir rien faire contre la machine à déshumaniser qui s’était mise en marche.
Loïc Di Stefano
Charles Aubert, Danser encore, Istya & Cie, septembre 2023, 173 pages, 20 euros