Dictionnaire amoureux de l’Esprit français

Il n’est rien de plus difficile que d’essayer de définir l’esprit français. Essayez pour voir. Tout aussi difficile que de définir l’humour anglais, la philosophie orientale et les galettes bretonnes. Dans son Dictionnaire amoureux de l’Esprit français, Metin Arditi propose une définition que me parait juste : le panache. Pour faire court, la meilleure incarnation de l’esprit français serait Cyrano de Bergerac — revu par Edmond Rostand, of course. Il a de l’élégance, du courage, sait manier les mots aussi bien que l’épée, trouble ses auditoires de différentes manières et touche le cœur des femmes (ou au moins d’une) comme seuls les Français savent le faire, dit-on. Arditi aurait aussi pu choisir comme fer de lance D’Artagnan qui est un proche cousin du sieur de Bergerac.

un choix et des oublis

Voici donc les bases de l’ouvrage établies. Sur ce, Metin propose une foultitude de rubriques censées cerner — ou au moins illustrer — l’esprit français. La première réaction du lecteur très moyen (dont je suis) est de relever les absents. Certains laissés-pour-compte sont illustres. Rien sur Molière ? Rien sur Victor Hugo ? Rien sur Descartes qui a pourtant offert son nom pour faire de l’esprit français un esprit cartésien ?… Côté chansons, on a Yves Montand, qui n’a jamais rien composé, mais pas Charles Aznavour, qui a transporté dans le monde entier les chansons dont il était l’auteur… Ouf, il y a bien Guitry, Prévert et Cocteau, mais pas Audiard, ni Desproges, ni même Jean Poiret qui, à mes yeux, résume si parfaitement l’esprit français dans ce qu’il y a de meilleur… Le cinéma est fort peu représenté, mais quand, dans les dix films représentant le mieux l’esprit français sur grand écran, M. Arditi classe quatre Truffaut, je m’étouffe, je m’apoplexie, je défaille. Quatre Truffaut ? Parmi les milliers d’œuvres et la poignée de chefs-d’œuvre ? Même René Clair n’en revient pas…

Mais c’est justement là un travers fidèle à l’esprit français que de critiquer le travail des autres pour sous-entendre qu’à la place de l’auteur on aurait fait mieux. Il est évident que je n’aurais pas effectué les mêmes choix, mais nous n’avons pas le même parcours, les mêmes élans. C’est ici son travail donc sa sélection. Un dictionnaire amoureux est aussi un dictionnaire partisan, dans le sens des partis-pris. Alors, au lieu de condamner les absents avec la perfidie d’un contrôleur des impôts, observons les présents. Il est vain de montrer le vide du doigt – ce qui sous-entend que le paragraphe précédent est inutile !

De l’érudition !

L’auteur est un érudit. C’est une évidence. Non un puits de science, mais un puits de connaissances, ce qui est mieux. Il a tout lu, tout vu, tout entendu. Il a engrangé des milliers de pages qui ont tapissé les murs de sa mémoire, passe son temps à visiter les musées des plus petits au plus réputés, et a dirigé l’orchestre de Suisse pendant plus d’une décennie. Si l’on ajoute à cela qu’il est envoyé spécial de l’UNESCO pour le dialogue interculturel, on comprend que l’on n’a pas affaire à un j’en-foutre. À cela s’ajoutent ses activités d’écrivain. Enfin, en tant que Suisse d’origine turque, vouant un amour immodéré (et peut-être un peu exagéré) pour la France, il semble être l’homme idéal pour rédiger un Dictionnaire amoureux. Chapeau bas.

Les écrivains et les musiciens forment le gros de la troupe. Ils sont venus, ils sont tous là (exceptés quelques absents…), traversant les siècles, opposant leurs styles, déployant leurs idées. Selon l’amour que leur porte l’auteur, ils peuvent avoir droit à quelques lignes ou plusieurs pages. Pour prouver leur efficacité, de nombreux écrits nous rappellent que tous, autant que nous sommes, restons des petits face à ces géants. Lire ce dictionnaire rend humble.

une France d’avant

Pourtant, j’ai la douloureuse impression que cette France que Metin Arditi nous décrit avec tant de passion n’existe plus. Elle me semble appartenir à un passé pas si lointain où régnait (en surface) une certaine douceur de vivre qui nous était enviée par l’ensemble de la planète (ou presque). Une France que je me souviens avoir connue dans mon enfance… Il n’est qu’à lire son portrait de Marseille, ville qu’il adore et que je connais bien. Nous n’en avons pas du tout la même vision, sans doute parce que nous ne traversons pas les mêmes quartiers.

Ce dictionnaire ressemble à un voyage dans le temps. Un voyage un peu féérique ou beauté et qualité avaient encore voix au chapitre. Je doute que les moins de 20 ans apprécient cette forme de nostalgie. Ils ont tort, car c’est en se rapprochant de l’esprit français défendu par Cyrano de Bergerac que l’ancienne fille ainée de l’église pourra poursuivre son chemin la tête haute. 

Et si, de mon humble marchepied, je peux donner un conseil à M. Arditi c’est d’aller distribuer son ouvrage dans les banlieues nord de Marseille, voire d’en lire certains passages à haute voix. La culture n’a jamais fait de mal à personne. Bon courage, quand même. Et Good Luck, comme n’aurait jamais dit Cyrano…

Philippe Durant

Metin Arditi, Dictionnaire amoureux de l’Esprit français, Plon, « L’Abeille », août 2021, 675 pages, 13 eur

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