« 2001 : l’Odyssée de l’espace » a 50 ans !

A l’occasion du cinquantenaire de 2001 : l’Odyssée de l’espace, la Warner a restauré le négatif original du film, en vue d’une nouvelle édition Blu-ray ultra HD en novembre 2018. Elle a également profité de cette restauration pour ressortir le film en salles dans le monde entier, occasion unique de voir ou revoir le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick sur grand écran. Ce pour quoi il a été fait.

L’événement est parrainé par Christopher Nolan, grand admirateur du film et disciple de la fameuse « froideur » kubrickienne. Froideur est d’ailleurs un mot réducteur, si ce n’est trompeur concernant Kubrick. Découvrir le film pour la première fois sur un grand écran, dans une copie hallucinante de beauté, peut nous amener à réviser ce jugement. Cette mise à distance systématique, caractéristique du style de Kubrick (lents zooms arrière, compositions ostensiblement symétriques), n’est pas tant de la froideur que du respect. Un respect profond pour l’intelligence du public, ce dernier étant mis dans une position de recul réflexif. Une manière d’humanisme, au fond.

Car si, dans tous ses films, Kubrick crée une distance ironique pour évoquer la cruauté intermittente de l’Homme (et, dans 2001, la cruauté de l’ordinateur, enfant de l’homme), c’est pour mieux la dénoncer, donc pour lutter contre. Irait-on dire que l’ironie de Voltaire, qui accuse l’intolérance de ses semblables, n’est pas humaniste ? 

 

 

Abstraction

Héritier tout à la fois de l’ironie voltairienne et de l’esprit scientifique du XVIIIe siècle, Kubrick veut constamment nous faire penser. Malgré l’emploi du Cinérama 70 mm qui est censé nous « envelopper », et à l’exception de la séquence « trip » de la Porte des étoiles, où la caméra s’engouffre en vue subjective dans l’espace-temps (et encore, cette séquence est tellement abstraite qu’elle nous sort volontairement du récit), le cinéaste ne cherche pas à nous immerger de manière viscérale dans son film.

La forme particulière de 2001, qui met en évidence le montage et le mixage par des coupes audiovisuelles aussi abruptes, aussi incongrues, que chez Godard (1), fait que l’on réfléchit constamment à ce qu’on regarde… et au fait qu’on est en train de le regarder. Ainsi, voir 2001 dans cette grande salle, au milieu de spectateurs silencieux et respectueux, m’a donné l’impression de regarder un chef-d’œuvre de la peinture au musée : l’esprit analyse, ou s’évade, mais n’oublie jamais le cadre.

A bien des égards, ce film est un pur objet plastique, une sculpture abstraite inconfortable dont les formes ont la particularité, comme le rappelait Michel Chion (2), de s’effacer au fur et à mesure devant nos yeux, mettant en évidence l’étrangeté absolue du cinéma : les images ne s’impriment pas une bonne fois pour toutes sur la pierre, le tissu ou le papier, comme dans les autres arts visuels. L’écran est une chose morte, une chose vide, nous laissant seuls avec ce que nous apportons.

 

 

Un chimpanzé au Louvre

Ridley Scott, autre grand admirateur du film, a dit un jour :

 

Si un extraterrestre regardait par les fenêtres de nos maisons la nuit, il verrait tous ces gens regarder une fenêtre reproduisant leur propre vie. Ce serait bizarre, non ? » 

 

Voir 2001 en salle, c’est exactement ça. 

Narcissisme ? Sans doute. Mais ce narcissisme, qui est en fait un besoin d’images et d’abstraction, est ce qui fonde toute l’originalité, tout l’esprit poétique de l’espèce humaine. Mettez un chimpanzé au Louvre ou mettez-le devant une aube magnifique, je gage qu’il ne s’arrêtera pas pour contempler le spectacle.

 

Claude Monnier

 

(1) Ce qui fait du film la seule superproduction expérimentale d’Hollywood avec Intolérance (1915) de Griffith et Apocalypse Now (1979) de Coppola. 

(2) Michel Chion, Stanley Kubrick, l’humain, ni plus, ni moins, Cahiers du cinéma, 2005. Le livre contient du reste la plus complète (et la plus concrète) analyse de 2001 jamais parue en français.

 

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