« Die Hard / pièce de cristal » : 30e anniversaire !

Il y a trente ans, au cœur de l’été 1988, éclatait la bombe Die Hard, troisième film de John McTiernan. Explosion dont l’onde de choc est encore perceptible aujourd’hui. Une édition anniversaire, en blu-ray Ultra HD, est actuellement dans les bacs. L’occasion pour Boojum de s’interroger sur les secrets d’un film fondateur.

Lors de la sortie de Piège de cristal en 1988, l’accueil critique fut tiède (on parlait dans le meilleur des cas d’un « film efficace ») … et j’ai envie de dire : tant mieux ! Car il n’est rien de plus excitant pour un cinéphile que de pourvoir à la défense d’un film (ou d’un réalisateur) injustement méprisé, de contredire, en sachant qu’on a raison, la critique « bienpensante » : l’occasion en somme de faire son Zorro. Ou son Zola. C’est d’ailleurs l’essence de la politique des auteurs inventée par Truffaut en 1954 : quel plaisir y aurait-il eu à encenser Hitchcock et Hawks si ces derniers avaient été d’emblée reconnus comme des artistes de valeur ?

 

Bruce Willis dans le rôle de John McClane

 

Génie de McTiernan

Pour les cinéphiles non conventionnels des années quatre-vingt, John McTiernan fut ainsi une véritable aubaine : un cinéaste de génie, passant sous les radars de la critique institutionnelle, comme Hawks et Hitchcock autrefois, amalgamant qui plus est l’héritage du premier (réflexion sur l’héroïsme) à celui du second (maîtrise absolue de la caméra, du découpage et du suspense). Le combat pour sa reconnaissance, initié par les rédacteurs de Starfix, Impact et L’Ecran Fantastique, fut long (1). Mais ce fut un combat victorieux puisque, en dépit de sa mise au ban par Hollywood suite à ses démêlés judiciaires (2), McTiernan a eu les honneurs d’une rétrospective à la Cinémathèque en 2014.

Cependant, l’ironie avec la politique des auteurs est qu’elle peut aisément se retourner comme un gant : obnubilés que nous sommes par le brio d’un cinéaste, nous oublions souvent que le fameux auteur d’un film, c’est-à-dire l’instance créatrice qui nous donne sa vision du monde, peut être la star, le scénariste ou le producteur.

 

Film d’auteur ?

Ainsi, avec le recul des années, on peut, à bon droit, voir Die Hard comme l’œuvre d’un acteur avant tout, en l’occurrence un jeune Bruce Willis alors en état de grâce, dont la moindre réplique, la moindre mimique, le moindre geste, s’est imprimé pour toujours en nous. La grande humanité du film, qui le distingue des autres blockbusters, émane principalement de l’incarnation de Willis/McClane, tout en faiblesses et souffrances. Sans doute cette grâce d’acteur a-t-elle été aiguillée par McTiernan, mais, quoi qu’on en pense, elle n’est pas lui. 

 

Alan Rickman dans le rôle de Hans Gruber

 

De même, on peut aussi voir Die Hard comme le film d’un producteur, Joel Silver, qui, comme tout producteur exécutif qui se respecte (du moins aux Etats-Unis), a développé le projet à la Fox bien avant de choisir McTiernan, a engagé et suivi de près le scénariste Steven E. de Souza pour adapter, de manière plus amusante, un scénario mélodramatique et vieillot de film catastrophe (3) et, surtout, a intégré au film toutes ses marottes, ses théories sur le spectacle, ses visions, ses obsessions : le thriller urbain aux destructions délirantes, le contraste ironique entre l’architecture classieuse à la Frank Lloyd Wright et la violence sanglante, la lutte à mains nues entre l’American Hero et le géant aryen (combat déjà mis en scène par Richard Donner un an plus tôt dans L’Arme Fatale, puis par Russell Mulcahy dans Ricochet en 1991), l’emploi systématique du musicien Michael Kamen, jusqu’au personnage d’Argyle (le jeune chauffeur coincé au sous-sol) qui est son entière création. Notons que, dans ses entretiens, Joel Silver, parle de Die Hard comme de son film (« mon Die Hard », dit-il souvent), évoquant à peine McTiernan ! 

En réalité, tout cinéphile doit être assez honnête avec lui-même pour reconnaître qu’un film de ce genre est avant tout un extraordinaire travail d’équipe (pensons aussi à la photo chatoyante de Jan de Bont et au montage virtuose de Frank Urioste), ce que reconnaissent d’ailleurs les cinéastes hollywoodiens, toujours étonnés, en général, que les critiques français tirent vers leur seule personne la glorieuse couverture.

 

Alan Rickman, Bruce Willis et le réalisateur John McTiernan pendant le tournage

 

Film-somme

Donc, tout en rendant un hommage particulier au génie de McTiernan en matière de mise en scène (le jeune cinéaste a conçu le film comme un véritable ballet, l’entrecroisement tour à tour harmonieux et destructeur d’innombrables interprètes, dont la danse folle va crescendo), on peut aussi le clamer haut et fort : si Die Hard est cet étonnant film-somme, cette synthèse magistrale, pleine d’humour et de panache, entre le western des fifties, le caper-movie des sixties (voir la performance d’Alan Rickman), le film catastrophe des seventies, l’actionner musclé des eighties, et même le film d’action high-tech des décennies suivantes (dont il ouvre la voie), c’est grâce au travail conjugué d’artisans au zénith de leur créativité.

 

Claude Monnier

(1) Comme d’habitude, pendant que Les Cahiers du cinéma et Positif consacraient à Piège de cristal une notule indifférente en septembre 1988, Starfix et L’Ecran Fantastique faisaient un entretien-fleuve avec McTiernan et parlaient de « révolution », de « ce qu’il y avait de mieux dans le cinéma actuel ».

(2) Démêlés concernant des écoutes illégales sur le producteur de Rollerball, Charles Roven.

(3) Scénario tiré du roman de Roderick Thorp Nothing Lasts Forever, qui reprenait le personnage du flic vieux-jeu interprété par Frank Sinatra dans Le Détective, film tiré d’un précédent roman du même auteur et réalisé par Gordon Douglas en 1968.

 

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