Divorce à l’italienne, une comédie inique en son genre


Dans les dictionnaires du cinéma, Divorce à l’italienne est souvent cité comme étant à la fois une comédie et un drame. Ce mélange des genres a pu être une qualité. Il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas là une faiblesse de scénario.

Il y a, comme chacun sait, deux formes de comique.

Le comique de répétition, et le comique de répétition.

Plus sérieusement, il y a le faux comique et le vrai comique. Le faux, c’est celui qui consiste à plaquer, sur n’importe quel sujet, des mots, des grossièretés qui peuvent faire leur effet, mais qui n’ont strictement rien à voir avec le sujet en question. Le vrai, c’est celui qui — telle cette lumière qui, dans un tableau de Georges de La Tour, n’éclaire pas tant le personnage qu’elle émane de celui-ci — prend sa source dans le sujet lui-même. Bergson expliquait qu’une bonne caricature ne fait que prolonger un élan que la nature avait, pour ainsi dire, interrompu en route. Le vrai comique ne déforme pas, il révèle. À travers ses outrances, il dit, tout simplement, la vérité.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que Divorce à l’italienne, le film auquel le genre même de la comédie à l’italienne doit son nom, ne devait pas être au départ, dans l’esprit de son réalisateur, Pietro Germi, un film comique. Il aurait d’ailleurs pu s’appeler, comme l’un de ses précédents films, néoréaliste et sérieux, Au nom de la loi. Ce sont les contradictions inhérentes à la réalité dont il s’inspirait qui lui fournirent sa vis comica. En ce temps-là, autrement dit en 1961, l’emprise de l’Église était si forte en Italie que le divorce n’était pas légal. On pourrait citer par exemple le cas de Carlo Ponti qui, ayant divorcé de sa première femme au Mexique, n’en fut pas moins condamné par la justice italienne pour bigamie lorsqu’il épousa Sophia Loren. Ils ne purent sortir de ce guêpier qu’en acquérant tous deux la nationalité française.

L’argument de Divorce à l’italienne est donc d’une simplicité quasi biblique. Un Sicilien qui ne peut plus supporter son épouse – et qui la trouve d’autant plus insupportable qu’il est amoureux d’une jeune cousine – finit par se dire que le seul moyen de se séparer d’elle est de la tuer. Encore faut-il trouver un prétexte légitime pour le faire. Il imagine alors de la faire tomber dans les bras d’un amant pour que son crime soit considéré comme un crime passionnel. Autrement dit pardonnable. Rien de tel que la loi pour tourner la loi.

Quelques grains de sable viendront cependant s’immiscer de temps à autre dans les rouages de cette mécanique et la victoire de notre Sicilien sera en définitive bien illusoire, puisque sa jeune cousine ne tardera pas à le tromper, et sans avoir été, elle, le moins du monde poussée à le faire.

Qu’on ne nous reproche pas d’avoir ainsi révélé la conclusion, pour ne pas dire la morale de l’histoire : nous nous permettons de le faire parce que c’est cette dernière pièce du puzzle qui nous fait comprendre pourquoi, assez vite, quand nous voyons aujourd’hui — dans une version restaurée 4K, est-il besoin de le préciser ? — ce grand classique de la comédie italienne, nous éprouvons un certain malaise, et même une profonde exaspération.

Il faudrait, certes, être de bien mauvaise foi pour prétendre que l’on ne rit pas à maintes reprises : l’apparition initiale de Marcello Mastroianni, bellâtre aux cheveux outrageusement gominés, donne le ton ; cette caricature de lui-même — confirmée un peu plus loin quand on le voit entrer avec les siens dans un cinéma projetant… La Dolce Vita — nous dit d’emblée que la vie est un théâtre et que c’est la raison pour laquelle nous avons le droit, sinon le devoir, de rire. Mais, si ridicule, si méprisable que soit le personnage interprété par Marcello, le film est construit de telle sorte que c’est à lui que nous sommes censés nous identifier : c’est lui la victime, et plutôt deux fois qu’une (v. la conclusion que nous évoquions un peu plus haut).

Autrement dit, et c’est ce qui fait que, même sans être un #metooiste frénétique, on peut trouver aujourd’hui Divorce à l’italienne à maints égards pesant et imbuvable, la situation est presque toujours présentée sous un seul angle, l’angle du mâle. L’idée qu’on pourrait imaginer parallèlement le cas d’une femme qui voudrait divorcer pour d’excellentes raisons, mais qui se heurterait à l’absurdité de la loi n’est jamais esquissée. Certains commentateurs, tombant avec une facilité déconcertante dans ce panneau, nous disent que l’épouse est d’une laideur repoussante alors qu’il suffit de voir certaines photographies pour constater que son interprète, Daniela Rocca, n’était pas loin d’être aussi séduisante que Stefania Sandrelli (la cousine). La dénonciation sociale qui se dessine dans ce Divorce ne manque certes pas de force, mais elle est, comme on dit en anglais, half-baked. Le travail n’est fait qu’à moitié : la défense d’un droit de l’homme fait oublier ici le droit de la femme. Sans doute était-ce, comme on dit, l’époque… Il suffit de feuilleter quelques pages des mémoires d’un Dino Risi ou, même, d’un Alberto Moravia pour se rendre compte que ces messieurs de l’après-guerre allaient aussi « naturellement » au bordel qu’un Feydeau ou un Maupassant près d’un siècle avant eux. No comment.

Il conviendrait de rééditer maintenant, du même Pietro Germi, et tourné en 1964, soit trois ans plus tard, Séduite et abandonnée. On a compris, d’après ce seul titre, que le point de vue n’était, heureusement, plus tout à fait le même.

Il a fallu attendre le début des années soixante-dix pour que le divorce devienne légal en Italie.

FAL

Divorce à l’italienne. Réalisateur : Pietro Germi. Scénario : Ennio De Concini, Pietro Germi. Avec Marcello Mastroianni, Daniela Rocca, Stefania Sandrelli, Lando Buzzanca. 1961.  

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