Priscilla, Lost in Relation

Priscilla, adolescente américaine ordinaire, a dû suivre ses parents en Allemagne au sein d’une base militaire importante. Là bas, elle fait la connaissance d’Elvis Presley, chanteur déjà iconique et bientôt, ils tombent amoureux malgré leur grande différence d’âge. Le conte de fées commence pour le meilleur et pour le pire.

Doit on considérer Sofia Coppola comme une imposture fabriquée de toutes pièces grâce à son nom illustre ou comme une véritable artiste ? Si certains aimeraient trancher en faveur de la première proposition, ils ne devraient pas nier en revanche les qualités dont elle a fait preuve à l’occasion de ses débuts, avec des faits d’armes assez fascinants qui ont dessiné une identité cinématographique, très distincte de celle de son père. Et il faut reconnaître que Virgin suicides ou Lost in translation attestent d’un savoir-faire incontestable qui n’a hélas que peu évolué avec le temps.

La suite, tout le monde la connaît, un Marie-Antoinette décrié, un Somewhere (injustement) détesté et une relecture de Don Siegel (Les Proies) en roue libre, pour finir par une incursion chez Apple Tv à peine remarquée (On The Rocks). Voilà pourquoi le retour de la réalisatrice sur le grand écran revêt une importance capitale pour sa carrière. Sans incarner le film de la dernière chance, Priscilla doit témoigner de sa capacité à se relever et prouver en quelque sorte qu’elle ne se pose pas en éternel espoir, mais bel et bien comme une figure de proue parmi les auteurs contemporains.

De fait, rien d’étonnant qu’elle choisisse d’adapter l’autobiographie de Priscilla Presley, ancienne épouse de la légende immortelle du rock’n’roll, qui connut une trajectoire sinueuse et une vie sentimentale compliquée, marquée par le comportement lunaire de son célèbre conjoint. Mais au-delà d’un énième long-métrage dans la mouvance “Me Too”, Priscilla renvoie l’envers du décor présenté par le Elvis de Baz Lhurmann (avec l’influence du « Colonel » suggérée ici hors champ) et amalgame toutes les obsessions de Sofia Coppola. De Lost in Translation à « Lost in Relation », il n’y a qu’un pas qu’elle franchit avec un certain succès en dépit d’un parti pris agaçant, très à la mode aujourd’hui, et adopté par bon nombre de ses confrères.

Syncrétisme forcé

Pour beaucoup de réalisateurs, passer par la case du long-métrage somme et surtout « méta » s’avère nécessaire afin de satisfaire les admirateurs d’hier. En conséquence, certains se sentent obligés de céder aux sirènes d’un syncrétisme ostentatoire, censé non pas rassembler les éléments stylistiques ou thématiques, mais plutôt de disséminer quelques clins d’œil scénaristiques racoleurs à l’ensemble d’une filmographie. Le tout au nom d’un fan service absurde.

Et sur ce point Priscilla n’échappe pas à cette tendance irritante, bien que le personnage principal et son histoire collent parfaitement aux différents morceaux de l’œuvre de Sofia Coppola. Ainsi Priscilla contient bon nombre d’archétypes déjà vus jusque là chez la réalisatrice, du patriarche sévère et surprotecteur dans Virgin suicides, à la prison dorée digne de celle de Marie-Antoinette en passant par les protagonistes déracinés, perdus en terre étrangère (Lost in Translation). Assemblées bout à bout, les pièces du puzzle ne déconcertent pas les connaisseurs même s’ils fleurent bon la partition répétée ad nauseam.

Le procédé si flagrant ne trompe personne et pourrait faire fuir n’importe quel spectateur un poil averti. Néanmoins, tel l’héroïne,on est frappé par l’aura dégagée et par la forme épurée du long-métrage, hypnotisé par la reconstitution soignée, appuyée par une photographie flamboyante, si bien que s’extirper de cette relation avec la cinéaste devient impossible. Le parallèle avec le vécu de la protagoniste débute tout comme la quête d’une émancipation. Une fois encore, briser le cercle est une question vitale, un cercle de souffrances fort bien illustré par une gestion de l’attente maîtrisée à la perfection.

Une vie à t’attendre

L’introduction de Somewhere durant laquelle le personnage tournait en rond au volant de sa voiture symbolisait à elle seule toutes les préoccupations de Sofia Coppola. Pour elle, il faut s’affranchir d’une situation intenable, d’un environnement vicié duquel il est presque impossible de s’extraire, qu’il s’agisse du poids du patriarcat, de la solitude ou d’un mariage toxique comme celui unissant Priscilla et Elvis. Cependant, si le public avance en terrain conquis et connu avec de tels sujets, Sofia Coppola offre de temps à autre une leçon magistrale de mise en scène, et c’est justement le cas ici.

Au-delà du délitement des sentiments éprouvés par les deux amants, la réalisatrice s’attarde sur la notion du temps et surtout de l’attente, symbole d’une passivité acceptée par la jeune femme. Du doux rêve à une réalité abrupte, personnifiée par la prison dorée de Graceland, Priscilla espère rencontrer le prince charmant, celui décrit dans les mythes façonnées par une société rigide, dominée par les hommes. Par conséquent, elle patiente et souhaite le retour de son compagnon.

Le moment pendant lequel Priscilla tient son chien dans ses bras s’éternise comme les tournées ou tournages d’une célébrité peu habituée à combler les désirs de quelqu’un d’autre. Ces différents instants, précieux dans la démonstration, soulignent une approche maline et bien plus efficace que les répliques exprimant l’égoïsme et l’emprise d’Elvis sur Priscilla. Les silences en disent davantage et dictent un rythme qui s’accélérera lorsque cette femme-enfant prendra son envol à l’instar de la cinéaste.

Maturation

Encore adolescente lorsqu’elle rencontre Elvis, Priscilla va se transformer physiquement, progressivement. La métamorphose opérée est saisissante et Sofia Coppola dirige Cailee Spaeny à la perfection, en décrivant un passage à l’âge adulte délicat, contraint par les envies de celui qu’elle adule plus que tout. Priscilla veut grandir et se mêle à des personnes plus vieilles au contact de celui qu’elle aime. Ce dernier désire quant à lui retourner en enfance et ne touche la plénitude qu’en s’exerçant à toute sorte d’activité récréative. Elvis a mûri trop vite et renoue avec sa jeunesse grâce à la candeur juvénile de Priscilla. Le contraste relaté interpelle et valorise un peu plus l’approche audacieuse de la cinéaste.

Puis les chimères s’estompent au fil du temps ou des événements ; Sofia Coppola excelle alors dans sa manière de retranscrire la lente maturation de son héroïne. Le but n’est plus de s’épanouir avec le temps , seul importe d’acquérir une véritable autonomie, sans le besoin du consentement d’un entourage étouffant. Une façon comme une autre pour la réalisatrice de revendiquer une fois pour toutes la singularité de son art, elle qui aspire à la plénitude à l’image de Priscilla. Et les critiques ou embûches ne pourront pas l’arrêter même si cette nouvelle entreprise ne lui permet pas d’embrasser la grâce qui lui était promise.

Toutefois, la prise de risque de Sofia Coppola mérite si ce n’est les louanges, au moins les compliments d’usage tant son Priscilla marche sur des charbons ardents sans jamais se brûler. La cinéaste accouche d’un exercice d’équilibriste nimbé d’une authentique pudeur, qui lui confère un charme indéniable. Poignant.

François Verstraete

Film américain de Sofia Coppola avec Cailee Spaeny, Jacob Elordy, Damagmara Dominczyk. Durée 1h53. Sortie le 3 janvier 2024

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