La première guerre d’Algérie, un conflit jamais éteint
Historien du fait colonial, Alain Ruscio a déjà publié Nostalgérie, l’interminable histoire de l’OAS (La Découverte, 2015) et Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance (La Découverte, 2019). À l’automne dernier, il a publié ce qu’on peut appeler respectueusement un « magnum opus » sur la guerre de conquête de l’Algérie entreprise par la France de 1830 à 1848 intitulé La première guerre d’Algérie.
Les raisons nébuleuses de l’expédition

Disons un mot ici : le travail de documentation effectué par Alain Ruscio est impressionnant par la diversité des sources utilisées et aussi par l’ampleur du livre. Il commence par retracer l’histoire longue des rapports entre France et Régence d’Alger, marquées par la piraterie mais aussi par le commerce : durant la Révolution, Alger approvisionne en blé la France, une créance d’ailleurs jamais complètement acquittée. Les origines de l’expédition sont anciennes, Napoléon y avait déjà pensé. La réussite logistique et militaire de l’opération de 1830 est indéniable : Charles Quint avait échoué, Duquesne s’était contenté d’une canonnade. C’est la suite qui interroge : pourquoi être resté, pourquoi avoir pris Oran et entamé une guerre de conquête ? L’idée de mission civilisatrice semble avoir jouée, avec l’ambition de fonder une colonie : il semble même que certains aient envisagé de planter du coton dans la région d’Alger…
Une guerre de conquête
Après avoir semble-t-il hésité, Louis-Philippe pérennise la présence française dans ce qui va devenir l’Algérie. Il nomme comme gouverneur-général un ancien ministre de la Police de Napoléon, Savary, qui y montre pas mal de cruautés. Les généraux enchainent les postes là-bas, certains se distinguant par leurs exactions envers la population comme Lamoricière. En face, les arabes s’unissent, souvent difficilement, derrière un chef charismatique, l’émir Abdelkader, qui force le respect de ses ennemis. Populations déplacées, villages détruits, civils massacrés notamment lors des fameuses enfumades : tout cela est connu et rappelé ici. Les colons ne sont pas en reste, en butte aux maladies par exemple. C’est d’ailleurs en 1848 que la colonisation européenne prend vraiment son essor, grâce à la IIe république. A la lecture, on est impressionnés par les moyens mis par la France de la monarchie de juillet pour soumettre un pays au fond hostile. Ces moyens auraient pu être utilisés ailleurs. Alain Ruscio n’a pas tort d’avoir appelé son livre la première guerre d’Algérie, tant les deux guerres sont liées. D’ailleurs, au fond, l’état de guerre cessa-t-il jamais le temps de la présence française en Algérie ?
A lire, tant l’actualité nous rappelle que le temps de l’Algérie française est un passé qui ne passe pas, ici et là-bas.
Sylvain Bonnet
Alain Ruscio, La première guerre d’Algérie, octobre 2024, 600 pages, 28 euros