Alice Slater, Mort d’une libraire

Alice Slater a longtemps été libraire en charge d’un rayon true crime, puis a mis sa passion au cœur d’une série de podcasts à grand succès. Elle publie, avec un immédiat succès international plus que mérité, Mort d’une libraire, condensé de ces deux expériences.

Une obsession

Roach est une jeune femme très renfermée. Gothique et solitaire, elle n’a pour compagnie que sa mère, son escargot domestique et pour passion les histoires criminelles vraies, surtout si elles ont les tueurs en série pour objet. Tout se passe aussi bien que possible dans le petit monde noir et morbide à souhait qu’elle s’est construit. Jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle libraire, en tout point son opposée : la belle et lumineuse Laura, férue de poésie, de douceur, d’élégance et de légèreté. Tout en elle s’oppose à Roach. Laura est passionnée par son travail, Roach n’y voit que le moyen de lire gratuitement. Elles pourraient être complémentaires, amies, mais bien vite ce qui les sépare formellement va être irréconciliable.

Laura est gênée par l’existence même de Roach, comme face à un phénomène qu’on ne comprend pas mais qui nous met mal à l’aise. Son sarcasme et sa noirceur s’opposent viscéralement à ce qu’elle veut montrer d’elle-même. Et Roach a la même sensation, l’immédiat inconfort de la présence de l’autre comme un hiatus dans son univers connu. L’anthroponomie Roach (cafard) vs Laura (lumière) est assez évidente mais fonctionne aussi comme un leurre, car chacune va franchir les limites de ce qu’on attend d’elle. Chacune va montrer une part répugnante de son humanité.

Et tout se complique quand Roach commence à nourrir une obsession pour la mère de Laura, victime d’un tueur en série… Plus Laura s’éloigne et plus Roach insiste, la traque, à la limite du harcèlement.

Sombre et glauque

Mort d’une libraire est un roman à la fois sombre et drôle, à l’ironie cruelle qui dissèque le monde actuel avec beaucoup de précision dans chacun des points de vues exposés qui alternent en chapitres courts et vifs que son les pages des journaux intimes respectifs. C’est la passion pour le crime qui ouvre le roman – une discussion entre fans d’Ed Gein ou de Jeffrey Dahmer -, et c’est cette passion obsessionnelle qui sera le fil conducteur. La discussion esthétique, détachée même, des crimes, est sidérante de crédibilité et fait froid dans le dos. Prenez De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts de Thomas de Quincey, sommet de l’humour noir britannique, ou une petite société érudite savoure le côté esthétique de crimes célèbres. Ajoutez un style très moderne et volontiers narquois, une banalisation de la pulsion criminelle par des discussions dignes de fanclub,

Aussi sournoisement drôle que dérangeant et lucide, glauque et conçu de manière à ce qu’aucun des personnages ne soit vraiment sympathique, Mort d’une libraire vaut comme réflexion sur l’immoralité des personnages et de la passion pour les crimes, les tueurs en série, les victimes et tout le morbide qui gravite autour. Quoi qu’un peu lent, ce n’est pas à proprement parlé un thriller, ni même un thriller psychologique, mais une mise en abîme d’une perte de contrôle quand le réel pour concrétiser les fantasmes littéraires. C’est malsain, sale, effrayant parfois, mais jubilatoire quand on entre dans le jeu vicieux et très malin d’Alice Slater.

Loïc Di Stefano

Alice Slater, Mort d’une libraire, traduit de l’anglais par Nathalie Peronny, la croisée, mars 2024, 384 pages, 23 euros

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