« Altamira » ou le retour de Hugh Hudson

C’est l’histoire d’un homme humilié par ses pairs pour avoir voulu explorer le cœur de la Civilisation…

Nous sommes à la fin du XIXe siècle, en pleine dispute entre les savants naturalistes, disciples de Darwin, et les religieux, accrochés à leur conception biblique du monde. Bien avant Lascaux, l’archéologue espagnol Marcelino Sanz de Sautuola (Antonio Banderas, remarquable de sobriété) découvre dans la grotte d’Altamira, sur la côte Nord de l’Espagne, une fresque préhistorique fabuleuse, la preuve que l’homme, il y a 15000 ans, était déjà un Artiste. Mais pour les contemporains de Marcelino, cela est totalement inconcevable et l’archéologue devient la risée de la bonne société.

 

La vérité humaine cachée sous la légende

On peut, à bon droit, établir un triste parallèle entre la trajectoire de cet homme brisé et celle du metteur en scène, Hugh Hudson. Auteur, dans les années 1980, de deux classiques incontestables, Les Chariots de feu (1981) et Greystoke, la légende de Tarzan (1984), Hudson fut maudit pour en avoir réalisé un troisième, plus radical : Révolution (1986), une fresque délibérément chaotique sur la naissance des Etats-Unis. Sa carrière en fut compromise et il ne revint que ponctuellement au cinéma, privilégiant les sujets intimes, Le Carrefour des innocents en 1989, My Life So Far (inédit) en 1999 et Je rêvais de l’Afrique en 2000.

Mais à bien y regarder, cette veine intimiste n’est pas nouvelle : depuis ses débuts, Hudson a toujours voulu explorer la vérité humaine cachée sous la légende. Fangio, son premier long-métrage documentaire réalisé en 1973, se demandait ce qu’il y avait derrière « le plus grand coureur automobile de l’Histoire », puis cette interrogation se porta sur la gloire des premiers jeux olympiques, sur le mythe de Tarzan et sur celui, plus politique, de l’Amérique, pays de Cocagne…

 

 

Ce que n’ont pas compris les détracteurs de Révolution, c’est que, pour Hudson, il ne s’agit pas de détruire le mythe, mais au contraire d’en dégager toute la richesse humaine, d’en faire jaillir l’émotion. Ce qui frappe en effet dans tous ses films, c’est qu’ils nous fendent réellement le cœur. Et cette émotion est d’autant plus profonde qu’elle est toujours pudique, souvent exprimée à travers l’indicible lien qui unit un père (véritable ou spirituel) et son enfant. Avec comme enjeu le regard de cet enfant sur le monde. Un regard pur, loin de toute convention sociale.

 

Altamira, le lyrisme tellurique

C’est pourquoi Altamira est plus qu’un film à thèse, un film académique ou scolaire sur la lutte entre la science et l’obscurantisme (et même s’il n’était que cela, il mériterait d’être diffusé dans tous les collèges, en ces temps d’obscurantisme renaissant). Passé l’introduction trop démonstrative, opposant le discours d’un préhistorien français et celui d’un évêque ridicule (Rupert Everett), nous retrouvons tout le lyrisme de Hugh Hudson. Ce lyrisme repose sur l’imbrication, la symbiose, entre l’Homme et la Terre. Marcelino possède l’amour, tout à la fois scientifique et spirituel (donc doublement riche), de son sol, de ses arbres (qu’il refuse d’arracher) et de sa grotte. Il aimerait s’y fondre, comme Fangio et les coureurs des Chariots de feu sur leur piste sacrée, comme Lord Greystoke dans sa jungle profonde et son château ancestral, comme les Américains sur leur sol neuf.

 

 

Peut-être par atavisme britannique (à l’image de son confrère John Boorman), Hudson nous transmet souvent cette symbiose par la terre boueuse, l’air humide et la forêt profonde. Dans Altamira, nous sommes sur la côte Nord de l’Espagne, fouettée par les embruns marins, mais, et c’est ce qui est émouvant chez ce cinéaste hanté et sensible, c’est aussi son Angleterre natale, la terre de ses ancêtres, qui transparaît. Et le résultat à l’écran est splendide : dans certains plans, on comprend pourquoi Hudson était le partenaire n°1 de Ridley Scott dans les années 1970, régnant tous deux sur la pub anglaise : ils ont ce même œil fordien, lui-même hérité de la peinture classique, apte à rendre la poésie d’un paysage dans lequel s’inscrit l’Homme. L’art du paysage amoureusement filmé, comme on filme amoureusement un visage de femme. Ainsi, dans Altamira, les gros plans de la belle Golshifteh Farahani (incarnant l’épouse dévote de Marcelino) sont aussi importants que les plans de nature, ils alternent et se complètent continuellement. Car dans l’esprit amoureux de l’archéologue, les deux procèdent du même mystère, de la même grâce.

 

 

A ce titre, Altamira nous ramène par son ambiance au premier film de Scott, Duellistes (1977), avant que ce dernier ne mette son talent au service d’Hollywood : même rythme posé, hormis quelques accès de fureur bestiale (ici, les bisons préhistoriques qui prennent vie), même subtilité pour décrire les difficultés du couple lorsque l’un des conjoints a une obsession, même sujet historique sérieux qui s’interroge sur la nature profonde de l’Occident. Comme si Hudson, du même âge vénérable que Scott mais poussé pour sa part à une « retraite » forcée, voulait montrer à son collègue qu’il fallait rester fidèle à leur première conception du cinéma, celle du producteur qui les a lancés, David Puttnam.

Et ce beau film, ce film noble, à contre-courant de la bêtise générale, les distributeurs français l’ignorent depuis un an, le condamnant injustement à l’oubli…

 

Claude Monnier

 

Altamira (Finding Altamira, 2016), un film de Hugh Hudson, avec Antonio Banderas, Golshifteh Farahani, Rupert Everett, Pierre Niney, Clément Sibony, Irene Escobar, Maryam d’Abo. Scénario : Jose Luis Lopez-Linares, Olivia Hetreed.  Photo : Jose Luis Alcaine. Musique : Mark Knopfler, Evelyn Glennie. Direction artistique : Benjamin Fernandez. Décors : Alejandro Fernandez. Costumes : Consolata Boyle. Montage : Pia Di Ciaula. Production : Morena Films, Sympathetic Ink, Telefonica Studios.

Film disponible par import : DVD espagnol zone 2, distributeur : Fox.  Sous-titres anglais et espagnols. Absence de bonus, excellente copie.

Remerciements à Frédéric Albert Lévy (défenseur de la première heure des films de Hugh Hudson) pour la découverte de ce disque.

 

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