Hélène ou le règne végétal suivi d’Usage interne de René Guy Cadou : une poésie à l’écart des salons

Il y a longtemps j’ai lu René-Guy Cadou, sur les bords de Loire. Adolescent, j’habitais alors près de la Grande Brière où il naquit, et découvrais la poésie chez un libraire nazairien qui a disparu depuis, il ne jurait que par Tel Quel, ce qui ne l’empêchait pas d’apprécier les poètes du cru, plus ou moins réunis dans l’école de Rochefort.

J’ai retrouvé la trace de Cadou à Bourgneuf-en-Retz, où il fut instituteur, où je vis maintenant une partie de l’année, pour les belles saisons : il me poursuit ! Et me rattrape avec cette nouvelle édition de son Règne végétal dans la collection Poésie/Gallimard dirigée par l’ami Jean-Pierre Siméon.

Est-ce d’avoir parcouru les mêmes endroits ? Mesquer où naquit son Hélène ? Piriac que j’ai parfois écrit, où ses parents se marièrent ? Saint-Nazaire et bien sûr Bourgneuf-en-Retz ? Je retrouve ces terroirs dans la poésie de René Guy Cadou.

Des terroirs de la Loire je dirai qu’ils dégagent une paix intense. Comme la poésie de Cadou. À croire qu’une poésie peut être issue du terroir où elle naît ? L’intense douceur de la poésie de Cadou, sa rondeur, sa simplicité, son humilité auraient-elles pu s’élever ailleurs ?

La poésie est inutile comme la pluie

Je retiendrais bien comme définition de son art cette affirmation :

« La poésie n’est rien que ce grand élan qui nous transporte vers les choses usuelles – usuelle comme le ciel qui nous déborde ».

Elle est tirée de la seconde partie du livre, titrée Usage interne. Ou encore : « j’aimerais assez cette critique de la poésie : la poésie est inutile comme la pluie ». À chaque fois l’essentiel du dire est ouvert par ce qui apparaît en filigrane. En toute délicatesse. Sans violence aucune. En tant qu’affidé de l’école de Rochefort, dira-t-on qu’il pratiqua un doux anarchisme ?

Poète dans la guerre, il en connait les violences. D’où, peut-être, sa volonté de ne rien céder sur l’amour. « L’art est né d’un sentiment de révolte, écrit-il, la poésie d’un sentiment d’amour ». Ceci dit, ses admirations ne vont pas toujours aux doux apôtres. En témoigne le long poème (cinq pages) dédié à Serge Essenine, qui n’a rien de doucereux : poète révolutionnaire à succès dans les années 20, Essenine tombe en amour d’une belle occidentale, Isadora Duncan, de dix-huit ans son aînée, avec qui il file aux États-Unis. Le couple se sépare, Essenine retourne en URSS où il finit suicidé on ne sait par qui : lui-même, ou ses amis bolchéviks ?

Hélène ou le Règne végétal est l’œuvre princeps de Cadou. Elle est dédiée à Hélène Cadou, l’amour de sa vie, qui lui survécut pendant soixante-trois ans sans jamais l’oublier. Décédée en 2014, elle est inhumée près de lui.

À douze ans orphelin de mère, il eut vingt ans en 1940. Des suites d’une « longue maladie » Cadou décéda à l’âge de trente et un ans. La dernière strophe d’Hélène ou le règne végétal, extraite d’un poème titré Tout amour, est la suivante :

Ô père ! J’ai voulu que ce nom de Cadou /Demeure un bruissement d’eau claire sur les cailloux !/ Plutôt que le plain-chant la fugue musicale/Si tout doit s’expliquer par l’accalmie finale/Lorsque le monde aura les oreilles couchées !


Il fut publié en 1951, l’année de son accalmie finale.

Mathias Lair

René Guy Cadou, Hélène ou le règne végétal suivi d’Usage interne, préface d’Adeline Baldacchino, Gallimard « poésie », avril 2024, 274 pages, 9,20 euros

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