Hélène ou le règne végétal suivi d’Usage interne de René Guy Cadou : une poésie à l’écart des salons
Il y a longtemps j’ai lu René-Guy Cadou, sur les bords de Loire. Adolescent, j’habitais alors près de la Grande Brière où il naquit, et découvrais la poésie chez un libraire nazairien qui a disparu depuis, il ne jurait que par Tel Quel, ce qui ne l’empêchait pas d’apprécier les poètes du cru, plus ou moins réunis dans l’école de Rochefort.
![](https://i0.wp.com/boojum.fr/wp-content/uploads/2024/05/Helene-ou-le-regne-vegetal.jpg?resize=200%2C328&ssl=1)
J’ai retrouvé la trace de Cadou à Bourgneuf-en-Retz, où il fut instituteur, où je vis maintenant une partie de l’année, pour les belles saisons : il me poursuit ! Et me rattrape avec cette nouvelle édition de son Règne végétal dans la collection Poésie/Gallimard dirigée par l’ami Jean-Pierre Siméon.
Est-ce d’avoir parcouru les mêmes endroits ? Mesquer où naquit son Hélène ? Piriac que j’ai parfois écrit, où ses parents se marièrent ? Saint-Nazaire et bien sûr Bourgneuf-en-Retz ? Je retrouve ces terroirs dans la poésie de René Guy Cadou.
Des terroirs de la Loire je dirai qu’ils dégagent une paix intense. Comme la poésie de Cadou. À croire qu’une poésie peut être issue du terroir où elle naît ? L’intense douceur de la poésie de Cadou, sa rondeur, sa simplicité, son humilité auraient-elles pu s’élever ailleurs ?
La poésie est inutile comme la pluie
Je retiendrais bien comme définition de son art cette affirmation :
« La poésie n’est rien que ce grand élan qui nous transporte vers les choses usuelles – usuelle comme le ciel qui nous déborde ».
Elle est tirée de la seconde partie du livre, titrée Usage interne. Ou encore : « j’aimerais assez cette critique de la poésie : la poésie est inutile comme la pluie ». À chaque fois l’essentiel du dire est ouvert par ce qui apparaît en filigrane. En toute délicatesse. Sans violence aucune. En tant qu’affidé de l’école de Rochefort, dira-t-on qu’il pratiqua un doux anarchisme ?
Poète dans la guerre, il en connait les violences. D’où, peut-être, sa volonté de ne rien céder sur l’amour. « L’art est né d’un sentiment de révolte, écrit-il, la poésie d’un sentiment d’amour ». Ceci dit, ses admirations ne vont pas toujours aux doux apôtres. En témoigne le long poème (cinq pages) dédié à Serge Essenine, qui n’a rien de doucereux : poète révolutionnaire à succès dans les années 20, Essenine tombe en amour d’une belle occidentale, Isadora Duncan, de dix-huit ans son aînée, avec qui il file aux États-Unis. Le couple se sépare, Essenine retourne en URSS où il finit suicidé on ne sait par qui : lui-même, ou ses amis bolchéviks ?
Hélène ou le Règne végétal est l’œuvre princeps de Cadou. Elle est dédiée à Hélène Cadou, l’amour de sa vie, qui lui survécut pendant soixante-trois ans sans jamais l’oublier. Décédée en 2014, elle est inhumée près de lui.
À douze ans orphelin de mère, il eut vingt ans en 1940. Des suites d’une « longue maladie » Cadou décéda à l’âge de trente et un ans. La dernière strophe d’Hélène ou le règne végétal, extraite d’un poème titré Tout amour, est la suivante :
Ô père ! J’ai voulu que ce nom de Cadou /Demeure un bruissement d’eau claire sur les cailloux !/ Plutôt que le plain-chant la fugue musicale/Si tout doit s’expliquer par l’accalmie finale/Lorsque le monde aura les oreilles couchées !
Il fut publié en 1951, l’année de son accalmie finale.
Mathias Lair
René Guy Cadou, Hélène ou le règne végétal suivi d’Usage interne, préface d’Adeline Baldacchino, Gallimard « poésie », avril 2024, 274 pages, 9,20 euros