« Eloge de la politique » l’hypothèse communiste d’Alain Badiou
Qu’est-ce que la politique ? L’hypothèse communiste ? Les révolutions sont-elles mises à l’épreuve de l’histoire ? De quoi la gauche est-elle aujourd’hui le nom ? L’élection de Macron est-elle un coup d’État démocratique ? Autant de questions fondamentales et très contemporaines que pose le nouvel essai que le philosophe français communiste Alain Badiou publie sous formes d’entretiens avec la journaliste Aude Ancelin.
Dans la série des éloges, et après Éloge de l’amour, Éloge du théâtre, Éloge des mathématiques nous parvient ce nouvel éloge, un éloge de la politique, confectionné avec le talent qu’on lui connaît d’Aude Ancelin, dans le rôle de la journaliste-philosophe qui questionne habilement le philosophe de la rue d’Ulm, communiste et ancien maoïste Alain Badiou. Inutile de rajouter que, dans les rangs de l’université française, il ne fait pas toujours bonne presse, et, que ses livres ne sont pas tous aussi faciles d’accès que ses éloges. Je vous renvoie par exemple à L’Être et l’Événement, Le Nombre et les Nombres, Court traité d’ontologie transitoire.
Le pouvoir au peuple
Qu’est-ce que la politique pour Alain Badiou ? Pas celle que l’on voit à longueur de temps sur nos écrans de télévision, ni celle qui défraie la chronique judiciaire et fait les choux gras des médias à scandales. Il est vrai que la désaffection du politique par le peuple depuis déjà plusieurs décennies en dit long sur la décadence du politique et l’appauvrissement du concept à notre époque. Badiou ne vote d’ailleurs plus depuis mais 68, et, finalement, avec le temps il est de moins en moins seul à choisir cette option démocratique. Mais Badiou est-il vraiment un démocrate ?
À la lecture de cet opus on peut répondre par l’affirmative, mais alors dans l’acception grecque du terme : démos/cratos (pouvoir par le peuple), car « ce “pouvoir du peuple”, loin d’inclure l’idée d’une représentation, la rend légitime. » Mais ce que l’on doit aussi retenir de Badiou, c’est ce que l’on ne dit jamais dans les médias, à savoir que le système politique, plutôt inspiré de Machiavel est aujourd’hui « un art souverain du mensonge », alors qu’il devrait être à l’inverse « une procédure de vérité », et que la politique doit être « organiquement liée à la catégorie de la justice ».
D’emblée, on voit qu’avec Badiou la politique doit se défaire des manigances, des ruses et du mensonge, de l’apport de la philosophie de ce philosophe italien Nicolas Machiavel, auquel elle s’est trop longtemps rattachée.
Ce que je pense, c’est que la politique revient à faire exister une idée dans une situation. Pour « faire » de la politique, il faut non seulement avoir une vision réfléchie et soumise à la discussion générale de ce que la collectivité peut et doit devenir, mais aussi une expérimenter cette idée, cette vision, à l’échelle où on peut le faire. »
Or, et c’est probablement le nœud de ce livre, la seule voie pour atteindre cette dimension de vérité en politique, est pour Badiou, « la voie communiste », car, elle « est la mise en œuvre de la conviction que ce qui est commun, le bien commun, doit effectivement être exercé en commun ».
Vers un communisme philosophie ?
La grande affaire de Badiou est donc l’installation du communisme dans nos sociétés démocratiques, alors qu’il est passé à l’inventaire et à la liquidation définitive. Liquidation du mot et évidemment « liquidation de la voie ». Mais si, pour le philosophe français, cette opération doit avoir lieu, c’est bien sûr pour combattre le capitalisme « ce “héros” […] devenu pauvre type », et la concentration hors-norme du capital entre quelques rares mains dans le monde. C’est donc une opération sauvetage à laquelle se livre Badiou, et c’est un humanisme qui se déploie dans les pages de ce merveilleux petit livre, qui explique par ailleurs le couop d’État démocratique auquel s’est livré Emmanuel Macron récemment, ce « larbin de l’oligarchie » faisant à ce jour, du camp des abstentionnistes le « seul camp raisonnable ».
Une lecture toujours très juste de la comédie du pouvoir, de la déréliction des institutions démocratiques, et du triomphe du capitalisme sauvage et du naufrage de la démocratie par un philosophe qui n’a ni sa langue dans sa poche, ni l’appareil critique et conceptuel autorisé par nos maîtres-à-penser modernes.
Marc Alpozzo
Alain Badiou, Aude Ancelin, Éloge de la politique, Flammarion, « Café Voltaire », octobre 2017, 144 pages, 12 euros