Baudelaire et Jeanne, l’amour fou de Brigitte Kernel

Le poète maudit

La mémoire collective associe communément aux «  Fleurs du mal » la figure immortalisée par Nadar d’un homme à la bouche pincé et aux traits aussi tirés que ces vêtements ajustés.  Bien qu’ayant choisi cette photographie pour première de couverture, Brigitte Kernel renouvelle l’image de l’artiste et de son œuvre en les abordant à travers une chose tant universelle qu’unique : une histoire d’amour. En allant au delà de cette couverture nous dépassons alors cette image austère en pénétrant dans Baudelaire et Jeanne, l’amour fou

Ainsi le récit aborde la vie de Baudelaire à travers le prisme de sa relation avec Jeanne Duval . Nous pouvons ici en effet parler de prisme car cette histoire se révèle dotée de multiples facettes. Passionné tant dans les moments de bonheur touchant à l’extase que dans ceux virant a l’orage, ces singuliers amants ne cessent de se séparer pour toujours mieux se retrouver. Ces multiples frasques pourraient nous laisser penser à une histoire dont l’on se lasse , fatigué d’essuyer les disputes incessantes où chacun se quitte vainement avec déjà la certitude du retours . Pourtant, au sein de ce climat d’instabilité se tisse entre cet archétype du poète maudit et cette jeune actrice aux origines exotiques un amour tendre et immuable que nous prenons plaisir à découvrir. En celle qui lui inspira «  la chevelure «  ou encore les «  parfums exotiques «  Baudelaire semble trouver sa plus grande complice. Il incarne alors  à ses côtés tant la figure d’un père protecteur et aimant que  celle d’un enfant capricieux mais aimé. L’ambivalence est également de mise chez la Duval car du tempérament de feu propre à cette tigresse se dévoile peu à peu une grande sensibilité . 

Un mélange des genres

Depuis le milieu du XIXe siècle, Baudelaire a fait couler bien de l’encre sur du papier car beaucoup a été écrit à son sujet : Biographies , critiques et même bande dessinée …. 

… le filon semblait donc déjà bien usé ! Pourtant Baudelaire et Jeanne  sort des sentiers battus de par un véritable travail d’équilibriste . Car avec des figures aussi fantasmées que controversées, à l’époque comme aujourd’hui, il n’est pas aisé de distinguer ce qui relève du mythe ou de la réalité. C’est ainsi ce subtil mélange qu’a choisit d’affirmer Kernel en construisant son récit sur la base d’archives et sources historiques. En étudiant Baudelaire, l’auteure, tout comme les lecteurs, se prend à imaginer le Charles qu’il a pu être. Nous le voyons ainsi évoluer à travers les années et les multiples rues de Paris toujours habité par ses deux grands amours : Jeanne et la Poésie. Ces dernières paraissent par ailleurs intimement liées. L’ombre de cette femme érigée en muse plane sur Les Fleurs du mal et Brigitte Kernel remet en perspective à de nombreuses reprises l’une vis à vis de l’autre . Venant illustrer ce récit l’œuvre de Charles Baudelaire s’offre alors à nous sous une nouvelle lecture qui nous fait nous interroger :  Que nous apprend finalement cette singulière biographie sur les écrits de l’auteur ?

On pourrait aussi rétorquer ceci : n’est-ce plutôt ses poèmes qui nous renseignent le mieux sur sa vie et l’homme qu’il fut ? 

Hécate Wotton

Brigitte Kernel, Baudelaire et Jeanne, l’amour fou, Écriture, mars 2021, 300 pages, 21 euros

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