J’irai chercher Kafka, une enquête littéraire

Productrice de documentaire pour la radio, romancière, autrice d’une thèse de doctorat sur le grand romancier Franz Kafka, Léa Veinstein lui consacre à présent une enquête littéraire sous la forme d’un récit qui est aussi une enquête personnelle. Car J’irai chercher Kafka est un voyage à plusieurs personnages.

Max Brod le traître magnifique

A sa mort, Kafka demande à son ami et exécuteur testamentaire Max Brod de détruire ses manuscrits, de faire disparaître cette œuvre qu’il jugeait par trop imparfaite et inassouvie pour qu’elle puisse être lue (1). Que nous sommes heureux de cette trahison qui aura donné à lire tant de romans magistraux ! Si son œuvre personnelle n’a pas résisté au temps, son nom reste attaché à un monument littéraire majeur du XXe siècle. C’est qu’il a su, comme le souligne juste Léa Veinstein, sacrifier tout à l’amitié et au génie, quitte à renier son serment et laisser son ami sur le devant de la scène alors que c’est lui l’auteur reconnu alors. Et quelle prescience il a eu de les garder avec lui sur le chemin de son exil vers Tel Avil et Jérusalem, en fuyant le régime nazi qui avait inscrit Kafka et Bord sur les listes noires !

C’est ce chemin que va suivre Léa Veinstein, celui des manuscrits sauvés à de nombreuses reprises, et plusieurs fois à l’incendie, mais aussi des manuscrits détruits dans un autodafé. Un chemin physique, qui est aussi une enquête personnelle sur l’amitié, l’engagement, la nature particulière des œuvres supérieures, qui transcendent tout.

Lé et Franz

Léa Veinstein nous implique avec beaucoup de talent dans sa quête passionnée. On y voyage dans les méandres de l’histoire, de la géographie, du droit même parce que la propriété des manuscrits a été sujette à caution et à bien des querelles, et des procès, impliquant jusqu’à la cour suprême d’Israël. Mais on voyage également dans l’histoire personnelle de l’autrice, moins que dans Isaac, le récit d’une enquête familiale sur son grand-père rabbin, mais un peu tout de même. C’est un rapport à elle-même qu’elle élucide dans son récit, un rapport d’elle à Kafka, cet auteur qui a traversé sa vie et qui l’a marqué de manière diverses et toujours riches. Son rapport à l’écriture, à la vie,

Titre au futur, comme la marque d’un non épuisement de la recherche qui part de la volonté de Kafka de brûler son œuvre par le feu, J’irai chercher Kafka est un récit touchant qui pose la question essentielle de la postérité d’une œuvre. Œuvre rescapée, thème si important dans l’histoire juive européenne et à la quête intime de Léa Veinstein elle-même. C’est une histoire incroyable, comme la dernière farce de Kafka à la réalité.

Loïc Di Stefano

Léa Veinstein, J’irai chercher Kafka, Flammarion, mars 2024, 320 pages, 21 euros

(1) « Voici, mon bien cher Max, ma dernière prière : Tout ce qui peut se trouver dans ce que je laisse après moi (c’est-à-dire, dans ma bibliothèque, dans mon armoire, dans mon secrétaire, à la maison et au bureau ou en quelque endroit que ce soit), tout ce que je laisse en fait de carnets, de manuscrits, de lettres, personnelles ou non, etc. doit être brûlé sans restriction et sans être lu, et aussi tous les écrits ou notes que tu possèdes de moi ; d’autres en ont, tu les leur réclameras. S’il y a des lettres qu’on ne veuille pas te rendre, il faudra qu’on s’engage du moins à les brûler. À toi de tout cœur. »

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