Rachilde, homme de lettres

En guise de préambule, j’aimerais tant que mon lecteur se souvienne des paroles prêtées à Aristophane par Platon à propos de l’Androgyne en son Banquet….

… D’abord, il vous faut apprendre ce qu’était la nature de l’être humain et ce qui lui est arrivé. Au temps jadis, notre nature n’était pas la même qu’aujourd’hui, mais d’un genre différent. Oui, et premièrement, il y avait trois catégories d’êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd’hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet il y avait l’androgyne, un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle.

Platon certes se gaussait mais sous la patte du Maître gîtait un fragment d’âme inséparable de l’humaine nature, un élan qui ne disparaîtrait ni ne se fondrait dans aucune norme.  Orlando, Mademoiselle de Maupin, Seraphita, Fragoletta, Khâtem … La liste des amants de la nymphe Salmacis et du fils d’Hermès et d’Aphrodite est longue et celle de leurs commentateurs, bien plus encore.

J’aimerais encore que mon lecteur se souvienne que  mademoiselle de Maupin du grand Théophile Gautier était avec les romans de Disraéli (une autre histoire)  le roman préféré de Barrès,  futur amoureux et éternel ami de Rachilde  –   et enfin – désolée de tant lui en demander mais s’il me lit il en a pris l’habitude ou a déjà tourné la page ! – que ce même lecteur  se souvienne que selon ce mythe  si l’homme tient du ciel, la femme de la terre, l’androgyne tient,  à l’instar de Cyrano,  de la lune et que Rachilde,  pour exceptionnelle qu’elle fut, fut à l’instar de ce qu’énonce Kafka dans sa Lettre au père seulement et aussi la triste résultante de son éducation. 

L’une des femmes de la longue lignée des enfants obstinées à refuser leur cantonnement à la seule terre – la vie matérielle solfiait Duras – qui pour cela s’était voulu romancière :  en capacité de partir sur la Lune et d’en revenir selon son bon plaisir.  

Pour aller vite, je voudrais rappeler que le refus de la condition faite aux femmes, par tous les moyens-  fugue, fuite ou révolte – est aussi vieux que Mérode et les robes des Dames qui n’ont à la naissance jamais rien à se mettre et pour cela doivent s’inventer, se tailler un costume. À chaque époque, pour survivre, se fabriquer l’armure théorico psychologique, qui permettra à ces mineures éternelles devant la loi d’ajouter une note, un couplet, un soupir au chant du monde et de braver, sans jamais les vaincre tout à fait, les idées reçues et les préjugés subséquents. Contre le fatum, à tout âge et époque, user de métis.

Si quelqu’un fut habile à ce jeu, ce fut bien Marguerite Eymery, Rachilde, sur la scène du monde, une personne que, jusqu’à la lecture de Cécile Chabaud, nul n’eût songé à considérer comme une victime.  

 Sans reprendre la vieille litanie des lieux, des temps et des moyens dont  les caractères les plus affirmées usèrent : domaines de l’amour, du spectacle, de la poésie, des couvents et de l’éducation, mes antiennes précieuses et   jansénistes et ne me cantonner qu’aux XIXe et XXe, époques où vécut et mourut Rachilde, il faut bien convenir que  son cas,  pour être remarquable,  n’est pas si exceptionnel, surtout  que le viol – réel ou supposé dont elle aurait été la victime – , la sauvagerie d’un père et la folie d’une mère ne sauraient expliquer,  entiers,   ni la construction de son personnage public ni  ses choix littéraires, intimes et politiques.

 En aucun cas, le choix du qualificatif dont elle prétendit s’affubler, celui d’homme de Lettres. 

 Avant de m’expliquer sur ce point, je me permettrais – un livre constituant toujours une lettre envoyée à un destinataire inconnu – de répondre à l’autrice, à la femme de lettres et de poursuivre le dialogue qu’elle a elle-même, publiant, ouvert.  

Chère Cécile Chabaud, professeure de Lettres modernes au collège,

Madame,

Vous lisant, mon étonnement fut grand de voir que vous aviez, évoquant la correspondance et le flirt Rachilde/Barrès, passé sous silence l’étrange parenté psychique des “amoureux “.

Vous n’êtes pas sans savoir que Barrès et le mythe de l’androgyne méritait à lui seul une thèse.  Aussi pour comprendre ce qui, en Rachilde attira Barrès et en lui, votre personnage, outre leurs charmes et leurs intelligences, tenait précisément à cet intérêt commun pour le thème de l’androgyne, leur certitude commune qu’Éros ne pouvait sans Thanatos exister et que l’écriture de la vie ne se saurait concevoir en l’absence de sang de volupté et de mort.

Aimer ou croire aimer Rachilde, la jeune androgyne en pantalons, constitua pour Barrès la répétition préliminaire à la grande affaire de sa vie, la rencontre et le compagnonnage littéraire avec Anna de Noailles, considérés comme la condition de possibilité du meilleur de son œuvre à venir.  Mais Rachilde était sage, trop sage, en dépit de ses livres aux thèmes provocateurs.  Barrès avait nécessité d’une Anna allumeuse, exaltée, perpétuellement en mouvement, d’un poète de haute race pour offrir libre cours à l’exercice de la passion, entrer par effraction dans l’âme féminine et devenir le fou d’Anna comme Aragon le fut d’une certaine Elsa. Songeant à elle, il peindra après Henri Latouche, un/une Fragoletta, non point maudite ou honteuse mais la potentialité soudain offerte de créer ex nihilo une créature assez semblable à la Viola de La nuit des rois de Shakespeare et en Anna, il découvrira, en majesté, tous les traits hésitants, que Rachilde, trop pressée de vivre de sa plume, griffonnait : la femme selon Michelet, sorcière et fée, chimère, animal. Il regrette même qu’Anna,  sa tant-aimée, ne soit pas un garçon… et devenu vieux s’émerveillera de  la sauvagerie d’une enfant pauvre,  qu’il invite à goûter à Charmes, craignant pour elle la contamination de la sensiblerie offerte, modèle infâme,  par les matrones,  dans le but avoué ou inavoué, conscient ou inconscient, de rendre leurs filles aussi malheureuses qu’elles le furent au lieu de leur conserver ce je ne sais quoi de sauvage , qui ferait, cultivé,  d’elles les plus parfaites des compagnes.  Non pas des races incompatibles mais simplement fraternelles.  

Barrès ne pouvait que s’attacher à l’auteur de Monsieur Vénus, être touché par une jeune personne qui, du désir et de l’élan vital, frère de la pulsion de mort, faisait feu. Il ignorait encore la pulsion civique, unanimiste qui ferait de lui – celui dont se moquera avec tant d’ironie, de justesse :  

Cantonnier de la droite française ! il en faut pour réparer nos routes, n’est-ce pas ?

L’ancien enfant des Marches, qui s’évertuera à composer à partir du visage sans âme de sa chère Lorraine une symphonie sur un piston … Il ignorait encore être un jour orphelin et pour cela déraciné…. Perdu, déchiré, écartelé, crucifié entre sa passion poétique pour l’Orient, les Ailleurs, la femme étrangère et la voix de ses morts, tentant d’user du génie de la conciliation pour faire cohabiter les sortilèges de Circée et les fées cartésiennes de Charles Perrault.

Nul ne fut plus féministe parce qu’immensément féminin que Barrès le premier amour de Rachilde. Nul sans doute ne l’a plus soutenue et n’a souhaité qu’elle devint un écrivain véritable de comprendre, les partageant, ses motifs de prédilection. Personne, plus que lui, n’a compris les méandres de l’âme féminine, ce qui meurt de l’enfant, à l’instant de la passe dangereuse que constitue l’adolescence, et le regret de la quiétude insexuelle qui, de toutes les petites filles, font les sœurs des garçons qu’elles savent égaler. Le drame ne survient que plus tard, à l’âge du “voile”, quand la société fait de la biologie, plus qu’un destin, une malédiction.

Aussi la préface qu’il offrit à Monsieur Vénus, le livre-scandale de son amie, lui fut-il l’occasion d’inaugurer une série d’études et de réflexions sur le « genre ».

Barrès plus tard prendra une plume féminine pour composer le journal imaginaire d’une jeune fille russe avant, qu’en son ultime opus, Eros et Thanatos ne s’unissent à nouveau avec une cruauté et une violence que n’aurait pas dédaigné la jeune Rachilde.

C’était à Quaalat, faubourg de Syrie, aux rives de l’Oronte dans un paisible jardin…  

Le rêve d’androgynie n’était en ce temps-là pas réservé aux Dames mais l’apanage des hommes de lettres pleinement hommes de Lettres : ceux qui pour chasser la mélancolie rêvaient, écrivant, d’autres vies que les leurs, certains que ces rêves demeureraient ce qu’ils eurent de meilleur.  

Là sans doute selon moi, qu’il aurait fallu commencer le roman de Rachilde : par la rencontre fortuite de deux âmes sœurs qui jamais ne se sépareront tout à fait ; là, ce qu’il eût fallu interroger, pour justifier, par l’œuvre, une telle entreprise. Car enfin si Rachilde n’eût point écrit qui aujourd’hui saurait encore le nom de Marguerite Emery (1860-1953).  

Je n’ai pu que sourire, vous lisant, affirmer que Barrès brûlait de désir physique pour Rachilde !  En galant homme, le jeune homme s’offre à la posséder… Le moyen de le croire tout à fait, sachant qu’Anna avait confié – rien ne pèse tant aux femmes qu’un secret –  à son amie Colette que Barrès – son grand corps de Christ maigre – était un amant des plus chastes. Enfin, quoi qu’il en fût, comment pouvez-vous affirmer que Barrès se serait consumé pour Rachilde ?

Barrès n’appartenait pas, c’est là son rare mérite d’écrivain, à la race des don juan conquérants qui dilapident leurs forces dans les choses de la chair mais à celle des rêveurs. L’un de ses rêves intéresse ici : celui d’une forme incestueuse du mariage de Boston : ceux qui unirent Lucile et René de Chateaubriand comme ils lièrent Maurice et Eugénie de Guérin…  

Vous parlez en revanche fort bien de la tentation ou volonté de la séparation de l’amour et du sexe, mais ce motif n’est en rien spécifiquement rachildesque. Pour preuve ?  La Bible déjà nous en avait fourni le plus merveilleux et lointain paradigme contant les amours douloureuses de Jacob et de Rachel.

Je m’étonne aussi que vous n’ayez pas suivi aussi Claude Dauphiné

https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1989_num_1_2_1394

Et n’ayez pas interrogé le lien que Rachilde, à l’instar de Colette, entretenait avec les animaux et quelle était la place de leurs bestiaires imaginaires dans leurs processus créateurs respectifs.  Au- delà de toute fonction symbolique ce que disait d’elles leur amour du chat, du loup… ? Anna de Noailles a toujours été fière d’être comparée à un oiseau de paradis…  D’être la réincarnation du martin pêcheur sous les étoiles si chères à Barrès, qui avait prénommé l’une de ses chattes préférées Rose-qui-a des épines, comme il nommait Marie Baskiersheff Notre-Dame-qui n’êtes jamais satisfaite….  

En effet, la femme appartenant, de jure et de facto, à l’inhumanité – ne possédant pas, de longtemps demeurée mineure, son mot à dire – se saisit d’une place d’où morigéner à sa guise les hommes en s’en faisant aimer :  les dominant et les séduisant tour à tour allant même jusqu’à, louve, goule, vampire ou stryge, les dévorer et les vider de leur sang;  

Telle s’imposait à la simple lecture de l’œuvre, la voie royale pour comprendre le refus du féminisme chez Rachilde. Inutile de combattre sur le terrain politique.  La métis et sa conséquence, la capacité de métamorphoses, demeurant à ses yeux   plus sûr et plus efficace arsenal.  

Là, Claude Dauphiné le pressant, où une femme toujours est homme de Lettres, demeurant, voix minoritaire, un être chimérique. Là, gîtait le génie de Rachilde, en cette intelligence et prescience que sans devenir androgyne ou créature -mi femme mi bête – aucune femme ne pourrait, sur le terrain qui lui était alloué, rivaliser avec les maîtres du passé.

Rachilde, la jeune fille, qui pour faire fuir les importuns, avait réclamé et obtenu de la préfecture le droit de s’habiller en homme était – scandale chez les Féministes –  à l’instar de Freud et de Michelet, réactionnaire ! Et oui ! La Demoiselle qui osa faire métamorphoser par une bourgeoise un petit commis fleuriste en robot d’amour, qui parla haut de nécrophilie et de loups garous, partageait avec Michelet et Freund le sentiment profond que le mariage demeurait l’unique remède à la folie toujours en embuscade aux frontières du “continent noir “ !

L‘ombre de la folie et de la mort plane sur la femme. La menstruation la pousse au meurtre et à la violence, elle fait d’elle “non seulement une malade, mais une blessée. (Michelet)

Ce que fit dans les bras et surtout aux côtés du très solide Monsieur Valette.

Rachilde n’était pas, Madame, la cliente que vous attendiez.

Je ne crois pas que l’enfance de Rachilde fut aussi malheureuse qu’il vous a plu la décrire. À chaque époque ses habitus. Ce qui vous effraye n’effrayait pas les filles d’autrefois. Elle était fille unique ?  Il y avait la bibliothèque, les leçons et les bois. Sa mère ne l’aimait pas ?  Elle la jalousait et devint, misérable Bovary, cliniquement folle ?  Eh bien, Marguerite n’a qu’à prendre la queue ! La chose est si banale et il est peu de femmes d’hier et d’aujourd’hui dont les filles, à l’instar d’Anna de Noailles, pourraient affirmer :

Je suis née, entière, du bois de ton piano…

Quant au père dont vous faîtes un rustaud, un brutal de la pire espèce, n’a-t-il pas, gentilhomme ruiné, vendu sa meute pour permettre à Marguerite de monter à Paris, y survivre en attendant de faire carrière ?  Il était et soldat et chasseur, aussi estimez-vous que le spectacle de la viande a faisandé et nourri l’imagination de Marguerite et vous l’imaginez, tuer des grenouilles, lui prêtant complaisamment un imaginaire de tueur en série?

En ce temps-là, les pères étaient les hommes et les mères, ce qu’aucune des jeunes filles ne voulait devenir et pour cela se faisaient danseuse, poète, comédienne, religieuse même putain et parricide à l’instar de la pauvre Violette Nozière !

Rachilde constitue un modèle d’équilibre, l’exemple que toutes les femmes devraient suivre, qui sut se servir de son charme sans risque – Barrès présentait, non sans quelque malice, Monsieur Vénus comme l’audacieux roman d’une vierge. Son mariage, union d’intelligences et collaboration littéraire, offre le plus parfait parangon du mariage heureux. Non, je ne crois pas qu’une si sage personne ait présenté, en dépit de l’extravagance – un rien putassière, la mode était alors au gothique et à la décadence –  de ses thèmes, le moindre trouble psychique. Quant au choix du nom suédois de Rachilde, je crains fort qu’il ne vienne de Swedenborg, le maître d’œuvre, de la Séraphîta de Balzac et non pas d’un nom ou d’une silhouette apparue sur un ouija au détour d’une séance de spiritisme, loisir auquel s’adonnaient sa mère et ses grands-parents. À trop faire parler les détails biographiques, il arrive qu’on en oublie l’œuvre et le sujet.

Voir sa mère internée lui aura certes brisé le cœur mais chacun, en son sein, porte de rudes fêlures et fractures, qui s’en sort comme peut. Art de la fugue, celui de tirer son épingle du jeu… Ronde de la vie. Le coup d’archet de la tsigane éphémère ne me semble guère à rechercher dans l’étroite psychologie d’une demoiselle de province.

Toutes les filles, soumises à cette jalousie et à cette tristesse insigne dont Madame Bovary a fixé le standard, ne deviendront pas, loin s’en faut, Rachilde, cette femme si pleine d’humour et de sagesse dont le cerveau, selon son mari, s’emboîtait parfaitement au sien. 

« Nous sommes égaux […], c’est une femme d’un esprit vraiment hors ligne. » (Valette, Lettre à Paul Léautaud.)

De ses longues journées aux bois d’Enfance, elle avait, montée à Paris, gardé le souvenir ardent de la vie animale, de la vie sauvage et pressentait que l’écrivain, soucieux de donner du monde l’idée interne qu’il se fait, doit faire appel à ses sens – inutile de les dérégler mais nécessaire de les mettre en mouvement, le corps écrit disait si justement Barthes.  

Qui mieux que l’animal – non pas les toutous d’aujourd’hui, arpentant tristement le macadam parisien ou ces chats honteusement substitués aux éternels bébés que des femmes mentalement stériles n’auront jamais – offre à l’homme meilleur modèle pour accompagner cette traversée des apparences que constitue toute vie, libérée de l’entrave des préjugés.

 Qui plus que l’oiseau, le loup solitaire, le chat qui s’en va tout seul, la taupe aveugle de l’Histoire peut mieux arpenter l’écart entre le possible humain et ses limites ? Quel autre rôle devrait avoir l’écrivain que de rappeler à ses congénères l’atroce privation de liberté en laquelle consiste, quand elle se voit dépossédée d’Ailleurs et de mythes, la condition humaine ?  

Voilà toute la « folie » de Rachilde et de ses loups garous !  

Votre « roman », Madame, m’a déçue comme me déçoit toute tentative de rabattre les pensées d’une époque sur la nôtre. Je vous souhaite néanmoins de pouvoir sur les ondes en tous lieux poursuivre votre combat. Puisque je souffre que vous prêtiez de l’aigreur à Rachilde et mettiez, éternelle Célimène, acharnée à combattre l’Arsinoé que vous deviendrez trop vite à votre goût –  sur le compte de son âge,  son refus d’engagement,  sans admettre que pour elle, parfait homme de Lettres,  vivre et écrire valait témoignage et témoignage combat, souffrez donc mon ardente défense d’un autre féminisme et le rappel,  à mon idée,  impérieux du contexte littéraire et politique auquel se heurta son “être femme”, la part énorme prise par l’époque dans l’élaboration d’un corpus qui n’avait que peu à voir avec son paysage intérieur.  

Je n’ai jamais eu confiance dans les femmes, l’éternel féminin m’ayant trompé d’abord sous le masque maternel, et je n’ai pas plus confiance en moi. J’ai toujours regretté de ne pas être un homme, non point que je prise davantage l’autre moitié de l’humanité mais parce qu’obligée, par devoir ou par goût, de vivre comme un homme, de porter seule tout le lourd fardeau de la vie pendant ma jeunesse, il eût été préférable d’en avoir au moins les privilèges, sinon les apparences.

N’étant, hélas ! ni de la race des femelles, seules créatures vraiment indispensables à la vie normale, ni de la race des courtisanes, qui sont également nécessaires à l’existence d’une société […] puisqu’elles en sont le plus bel ornement, je me contente de demeurer un reporter, c’est-à-dire de rester neutre en prenant des notes sans prendre parti.

On ne saurait mieux dire.

Les circonstances ont décidé de tout et du jeu, qu’elle avait en main, Rachilde sut tirer le meilleur.

Je vous prie d’accepter mes salutations distinguées.  

À mon lecteur, je recommanderai de lire Rachilde, pas un grand écrivain, simplement à l’instar de Gyp, une autre grande amie – hélas ! –  de Barrès, elle pondait à la ligne, à la page, à la va vite et comme j’te pousse pour ne dépendre de personne, de méchants romans gothiques, que sauvent l’intelligence et la lucidité de leur auteur.  

Lisez aussi  ses portraits de contemporains, vous y verrez Sarah Bernhardt et Barrès sous un angle peut-être inédit, prenant garde de vous souvenir toujours,  qu’être  homme et femme ensemble est nécessaire – n’en déplaise aux wokes qui prétendent aujourd’hui borner nos imaginaires aux frontières de nos races et états-civils  – à qui se pique d’écrire : disserter de l’humaine nature, participer de l’imaginaire ( le voyage sur la lune ) et de l’altérité ( celle des sexes et à présent des genres ), je vous laisse méditer sur le programme de celle qui, après tant d’autres et avant d’autres rêva, une chambre à soi,  King Kong théorie,  vaste programme  de Refaire l’amour, ouvrage où très classiquement domine le distinguo ancien  des deux Aphrodites :

Celle qui est née d’Ouranos, (le Ciel), Aphrodite Ourania, déesse de l’amour pur, et la fille de Dioné, l’Aphrodite Pandémienne (c’est-il-dire l’Aphrodite Populaire), déesse de l’amour vulgaire (…) C’est certainement le souffle d’un dieu inconnu qui disperse la raison ou allume une flamme très en dehors de nos foyers humains. Je ne parle pas du vulgaire attrait qu’un sexe a pour l’autre : ceci est du ressort purement (ou impurement) humain et cela n’a rien à voir avec l’amour. […] L’un n’empêche pas l’autre, mais il y a très souvent des cas ou [sic] l’autre domine et finit par anéantir la cause… commune. Je n’ai pas du tout la prétention de vous imposer ma manière de voir, cependant elle est encore la seule façon d’expliquer… l’inexplicable.

Plus classique définition de l’amour ne se peut.

Sarah Vajda

Cécile Chabaud, Rachilde, homme de lettres, Ecriture, août 2022, 240 pages, 18 euros.

Une réflexion sur “Rachilde, homme de lettres

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