Marc-Aurèle, biographie d’un philosophe-roi ?
Empereur et philosophe, Marc-Aurèle aurait-il été ce philosophe-roi rêvé par Platon, susceptible de défaire la cité de ses maux ?
La biographie de l’historien Benoît Rossignol permet d’apporter une réponse nuancée. L’historien procède à la fois de façon chronologique et thématique alternant entre des chapitres factuels très documentés et des exposés sur de nombreuses questions intéressant le lecteur contemporain, comme ses origines, son éducation, son attitude face aux femmes, à l’esclavage, aux Chrétiens, etc.
Des guerres nécessaires ?
Ce qui semble la préoccupation majeure de l’empereur, ne nous en déplaise, ce sont les conflits militaires, en particulier à l’est de l’empire contre les Germains. Marc-Aurèle se déplace beaucoup et se rend parfois sur les champ d’opérations.
Installé par et pour la guerre aux limites de son empire ; se consacrant scrupuleusement aux devoirs de son métier d’empereur, n’ayant plus alors de temps pour ses lectures, Marc en trouvait pourtant pour écrire pour lui-même.
S’agissait-il de conquérir des territoires ou de stabiliser les frontières ? Selon l’historien, les sources ne permettent pas de trancher. Le vaste empire n’en est pas à son extension maximale, allant de l’Espagne à l’Egypte au sud, de la Grande Bretagne actuelle au-delà de la mer caspienne au nord, et de ce fait menacé de déstabilisation à ses confins, ce qui est expliqué précisément, à l’aide d’une carte inversée.

Il fallait aussi veiller au maintien des troupes, au financement des conflits, à l’administration de territoires aux statuts divers, toujours sous la menace de mauvaises récoltes, d’ épidémies ou de la propagation de fausses informations comme lorsqu’il fut malade en 175 et que l’usurpateur Avidius Cassius , de bonne ou de mauvaise foi, le fit passer pour mort.
Des origines complexes
Les liens familiaux occupent une partie de l’ouvrage , non pas qu’on en sache beaucoup sur ses sentiments intimes, mais parce que la filiation a son importance politique. La branche paternelle est sénatoriale tandis que celle de sa mère, colossalement riche. Petit cousin d’ Hadrien, il fut très tôt appelé par ses qualités à lui succéder un jour. Après la mort de son père, Marc, qui naît à Rome en 121, est adopté par son grand-père paternel puis par l’empereur Antonin ; il sera père de Commode.
La philosophie à l’épreuve de la vie
La correspondance avec l’un de ses maîtres , le latin Fronton, éditée tout récemment, permet de connaître la vie quotidienne du futur et jeune empereur et la nature très étroite de leur relation. Il garde de l’influence de ses maîtres grecs, et en particulier d’Hérode Atticus, le fait d’écrire en cette langue, mais se détourne de la rhétorique pour le stoïcisme sous l’influence du philosophe Rusticus.
Le stoïcisme, pour ses adeptes, à l’image des autres écoles de philosophie antique, se traduit en actes, ce que dénote les citations des Pensées pour moi-même mises en exergue de chaque chapitre du livre. Mais il ne faudrait pas s’y tromper ! Si Marc vit sa philosophie, le stoïcisme, malgré son cosmopolitisme et la reconnaissance de l’unité du genre humain, ne se traduit pas sur le plan politique par la démocratie et l’égalité en droit de tous les hommes et femmes.
Même la liberté de parole qu’il met en avant pouvait se concevoir seulement pour un groupe restreint d’aristocrates. […] Marc s’inscrit dans une tradition philosophique qui depuis Platon se défiait de la démocratie pure et refusait la simple égalité pour mettre en avant l’égalité géométrique, l’isonomie proportionnelle aux mérites et aux vertus.
En effet, dans le stoïcisme, prévaut la conformité à l’ordre du monde ou encore à la nature, la liberté intérieure ne dépend guère des conditions matérielles considérées comme indifférentes pour préserver sa moralité. Cette forme de conservatisme ne doit pas s’interpréter comme de l’ hypocrisie.
Être sans duplicité ; être sérieux, endurer la souffrance, mépriser le plaisir, ne pas se plaindre du Destin, avoir peu de besoins, être libre, bienveillant, simple, éviter le bavardage, posséder la grandeur d’âme.
(Marc-Aurèle)
Néanmoins, il en est de même de l’esclavage, de la condition des femmes ou de la tolérance religieuse ; le stoïcien , quoique plutôt bienveillant , clément et moins cruel que l’homme du commun, ne souhaite pas changer les structures sociales.
Ainsi, au risque de décevoir sur l’homme, le travail de Benoît Rossignol, tel qu’on l’attend d’un historien, permet de rendre compte de la vie de Marc-Aurèle dans le contexte de son époque. Cette somme allie l’exploitation des dernières archives et recherches archéologiques à une connaissance philosophique de l’œuvre, permettant ainsi une analyse rigoureuse d’un règne parfois idéalisé.
Florence Ouvrard
Benoît Rossignol, Marc-Aurèle, Perrin, « tempus », mai 2025, 912 pages, 14,90 euros