L’amour et Spinoza, comment en finir avec le malheur de la lubricité

Bernard Pautrat connaît son Spinoza sur le bout du doigt. Il a notamment dirigé l’édition de ses œuvres complètes en Pléiade. Dans cette réédition en poche de « L’amour et Spinoza », les éditions Rivages n’en disent rien, la bibliographie de l’auteur est absente du livre. Sans doute cela ferait trop sérieux : présenter Bernard Pautrat pour le maître de conférence à l’ENS qu’il en ferait sortir les lecteurs de leur lit – et donc de la page ! Rivages préfère déclarer en quatrième de couverture que « ce livre est l’union légitime de l’éthique et du courrier du cœur ». Bonjour l’accroche !

Le sexe, l’excès, l’ex-sexe…

En fait, pour Spinoza le « bon sexe » serait un sexe modéré, pratiqué avec une « sage épouse ». Mais hélas c’est impossible car la libido veut toujours plus, et encore plus, telle est la ferme conviction du philosophe – sans doute bâtie sur l’expérience ? On préférera donc la Chasteté, ou mieux : la Béatitude qui en est la forme suprême, soit l’amour de Dieu, sachant que Spinoza (écologiquement ?) l’identifie à la Nature.  Tel est le « courrier du cœur » version Spinoza.

Bien sûr, notre philosophe démontre la chose. Il décrit cinq affects : « l’Ambition est le désir excessif de gloire », « la Gourmandise est le Désir immodéré, ou même l’Amour, de manger », « l’Ivrognerie est le Désir immodéré et l’Amour de boire », « l’Avarice est le Désir immodéré et l’Amour des richesses », « la Lubricité [Libido] est également Désir et Amour de s’accoupler aux corps ». Les quatre premiers affects peuvent être régulés par la raison, pas le cinquième… par nature, la libido est excessive…

Au secours Montaigne !

Spinoza rejoint donc les philosophies antiques, sans toutefois adopter les outrances platoniciennes. Marc Aurèle comparait le corps à un cadavre, Épictète à « un ânon qui a reçu une charge ». Comparé à la sagesse antique, le christianisme parait jubilatoire, presque, puisque dans cette religion le Verbe se fait Chair, et les corps ressusciteront…  Au secours Montaigne ! Qui déclare : « Quoi qu’ils disent, dans la vertu même, le dernier but de notre visée, c’est la volupté. Il me plaît de leur rebattre les oreilles de ce mot qu’ils prennent si fort à contrecœur ». Avait-il lu par avance son Sigmund Freud ?

La maladie d’amour

Bernard Pautrat l’avoue, il a eu du mal à débusquer le thème de l’amour dans l’oeuvre de Spinoza. Au terme de son enquête il fait cette supposition : dans sa jeunesse, à l’époque où la libido bat son plein, prête à tous les excès, Baruch apprend le latin chez François Vanden Enden, à Amsterdam. Or, celui-ci a une fille, une jolie jeune fille, Clara Maria. Le sémillant Baruch se risqua-t-il à vouloir jouer à Héloïse et Abélard ? On sait qu’il offrit à la dulcinée « un collier de perles d’une valeur de deux ou trois cents pistoles ». Hélas, Clara Maria épousa un certain Kerkering…

L’auteur conclut ainsi son livre :

« Toute cette machine de l’éthique n’a peut-être été inventée que pour surmonter cet amour, ce malheur, et toutes ses séquelles : pourquoi pas ? ».

Voilà pour le courrier du cœur !

Mathias Lair

Bernard Pautrat, Spinoza et l’amour, Ethica Sexualis, Rivages « petite bibliothèque », octobre 2024, 495 pages, 12,50 euros

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