Sur l’emploi de car et de parce que

Parmi les éléments qui conduisent une langue à devenir à un moment donné littérature, il y a l’ambiguïté ; le fait qu’une même construction puisse recouvrir deux choses différentes ; et, plus précisément, le fait qu’un énoncé puisse, sournoisement, se prendre lui-même pour objet.

            Soient ces deux phrases construites de façon identique :

Si tu viens, tu pourras voir mon nouveau bureau.

            Si tu viens, les clefs sont dans la boîte aux lettres.

Il est évident que, dans le premier cas, si tu ne viens pas, tu ne pourras pas voir mon nouveau bureau, alors que, dans le second, si tu ne viens pas, les clefs seront quand même, de toute façon, dans la boîte aux lettres. La différence tient au fait que, dans la première phrase, la condition porte sur ce dont on parle, alors que, dans la seconde, elle porte sur ce qu’on dit – sur le fait même de parler. Il y a, si l’on veut, un élément sous-entendu dans cette seconde phrase, à savoir : Si tu viens, l’information que je te donne maintenant (sur la localisation des clefs) pourra t’être utile. Si tu ne viens pas, tu peux ne pas tenir compte de ce que je te dis.

Cela posé, on ne peut cependant pas tout mélanger, comme on le fait de plus en plus depuis quelque temps avec car et parce que. Certes, il arrive assez souvent que ces deux « connecteurs logiques » soient à peu près synonymes.

            Il n’est pas venu, parce qu’il était malade.

            Il n’est pas venu, car il était malade.

Ne chipotons pas. C’est bonnet blanc et blanc bonnet, n’est-ce pas ?

Pas tout à fait cependant. Récemment encore, nous étions assez naïf pour croire que la différence s’imposait clairement à travers une impossibilité criante. Si l’on peut « gonfler » la première phrase en disant :

            S’il n’est pas venu, c’est parce qu’il était malade,

on ne saurait dire :

            *S’il n’est pas venu, c’est car il était malade.

On ne saurait dire… mais malheureusement, c’est ce qu’on entend ou lit de plus en plus. Peut-être pas aussi brutalement, mais il est des formes plus insidieuses de cette atteinte à la syntaxe. Par exemple, dans des dialogues du type : – Pourquoi cela ? – Car c’était inévitable !, ou encore dans des phrases du genre : Il n’est pas venu, car il était malade et qu’il ne tenait plus debout. Or ce que ne peut reprendre qu’un parce que, et en aucun cas un car, conjonction de coordination, et non de subordination.

Au-delà de cette terminologie que certains trouveront peut-être absconse, qu’est-ce qui distingue, du point de vue du sens, car et parce que ? Appelons Verlaine à la rescousse et partageons avec lui son rêve familier :

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend…

Elle me comprend parce qu’elle me comprend ? La belle affaire ! Vous parlez d’une explication ! Autant dire : il fait froid parce qu’il fait froid ou je suis fatigué parce que je suis fatigué ou l’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive. En réalité, « Car elle me comprend… » n’est pas tant une explication qu’une justification : je vous dis qu’elle me comprend et vous pouvez me croire, car j’ai des raisons pour affirmer qu’elle me comprend. J’ai des raisons de dire ce que je dis.

Morale de cette triste histoire. L’irrésistible confusion qui s’installe chaque jour un peu plus – un effet d’Internet parmi d’autres – entre le réel et le virtuel, entre un fait objectif et une opinion est en train, très logiquement, de contaminer la langue. Et les esprits.

FAL

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