Chanson bretonne de Le Clézio

Le Clézio nouveau est arrivé. Il nous vient de Bretagne, de la Bretagne de son enfance, avec, dans ses bagages, ses souvenirs des années d’après-guerre. Rarement nostalgiques, mais souvent touchants. Le livre s’appelle Chanson bretonne, chanson comme chanson de geste, sans doute, et il s’agit, dit-il, d’un conte. 

sur les Bords de l’Odet

Le Clézio n’est pas né en Bretagne. Mais il y a passé toute ses vacances, dans les années cinquante, avec sa famille. Cela se passait au village de Sainte Marine, au bord de l’Odet, sur la côte sud. C’est de la vraie Bretagne, celle des enfants en sabots, des pêcheurs de maquereaux, des bonnes sœurs en deux chevaux. Et par-dessus tout, la rencontre de l’auteur avec un petit peuple de gens simples, attachants et travailleurs, où la marquise de Mortemart, de la plus vieille noblesse bretonne, comme il sied, ouvre son château à tout le village pour des fêtes éclairées de joies et de flambeaux. 

La vie de cette Bretagne-là, en ces temps-là, c’est la mer, avec ses drames, la religion, très présente, les doryphores, qu’on ramasse un par un, quelques mystères dans la forêt de l’arrière pays, où l’on ne s’engage pas sans crainte, pour les « corvées de bois ». Au passage, Le Clézio brosse quelques beaux portraits de ces hommes, et de ces femmes, parfois taiseux, aux mains calleuses, durs au mal. Mais sa mémoire ne le trahit pas. Sous sa plume, tout un pays vit, ou revit, plein de couleurs, avec les champs de blé doré, et « les sons aigres des binious et des bombardes ». Une vraie chanson, cette fois. 

De ce pays un peu sauvages, Le Clézio se rappelle aussi « le spectacle de fleurs jaunes, au moment où les genêts ouvraient leurs pétales d’or, et la bruyère, ses lacs roses et rouges ». Pays de renards et de chevreuils, dit-il, qu’il regarde parfois avec tristesse, aujourd’hui, quand un hideux supermarché a pris la place de la vieille ferme où les enfants allaient chercher le lait tout frais tiré. Ce n’est pas tout. De ce monde à part qui fut breton avant d’être français, l’auteur sait qu’une personnalité bien trempée sourd à travers ses costumes, ses musiques, sa littérature. Comment éviter que cette vieille culture ne réclame pas un peu d’autonomie ?…

L’Enfant de la Guerre

A cette jolie Chanson bretonne est accolé un deuxième conte, baptisé L’Enfant et la guerre. D’à peine cinquante pages, il nous transporte cette fois à Nice, chez une grand-mère dont le jardin est secoué de bombardements, en pleine « Occupation ». De cette toute autre époque, dans un tout autre pays, les souvenirs de l’écrivain sont plus lointains. Né en 1940, Le Clézio s’en tient plus à ce qu’il en a appris qu’à ce qu’il sait. Les soldats italiens, les Juifs qui partent vers les Alpes, les avions canadiens, son père absent, resté en Afrique…

Mais surtout, l’auteur se livre à une rêverie féconde sur la Guerre en général, toutes les guerres, leurs massacres inutiles, leurs souvenirs indélébiles dans le cœur d’un enfant. Ce furent ses premières années, semées de troubles, de faim, et d’inquiétudes, dont la Bretagne ensuite a apaisé les tourments. Mais de Sainte Marine, comme de Nice, la mémoire est intacte. Et c’est tout le talent de Le Clézio, le charme puissant de son écriture, qui lui donnent vie. 

Didier Ters

J.M.G. Le Clézio, Chanson bretonne, suivi de L’enfant et la guerre, Gallimard, février 2020, 150 pages, 16,50 euro

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