Louis Jouvet, l’éternel

C’est enfoncer une porte ouverte que dire que Louis Jouvet fut un grand acteur. On se souvient de son phrasé si particulier, proche des montagnes russes, et de son maintien toujours rigide qui laissait supposer qu’il était incapable de se courber et, par extension, de faire des courbettes. À l’occasion des 70 ans de la mort de Jouvet (qui seront célébrés le 16 aout 2021) Olivier Rony, ci-devant professeur de lettres, lui consacre une nouvelle biographie. D’une incroyable minutie. Bénéficiant de tonnes de documents, dont les carnets de bord de Jouvet lui-même et de sa troupe, il reconstitue le parcours de cet homme peu banal qui a consacré sa vie à son art.

Une bête de travail dévouée à son art

Car, à lire ce livre, on se rend compte qu’il ne s’arrêtait jamais. Ses périodes de « repos » étaient destinées à échafauder de nouveaux projets, préparer de nouvelles représentations. L’esprit constamment en ébullition, il imaginait, améliorait, produisait sans cesse. Une bête de travail capable de déployer une incroyable puissance. Il n’est qu’à compter le nombre de rôles qu’il a tenus et le nombre de représentations qu’il a jouées.

Car Rony s’intéresse principalement au théâtre. Les débuts, la création du mythique Knock, ses relations avec Jean Giraudoux, ses liens étroits avec certaines pièces de Molière… tout y est raconté par le menu, sans rien manquer, pas même le plus petit bouton de guêtre. Affres de la préparation, difficultés des répétitions, audace des représentations, réactions des critiques… tout y est ! Difficile de faire plus complet.

cinéma oublié ?

En contrepartie, les amateurs de cinéma restent sur leur faim. Certes, tous les films auxquels Jouvet participa (Hôtel du Nord, Drôle de drame, Quai des Orfèvres, Entrée des artistes… et les autres — dont un dialogué par Michel Audiard) sont au rendez-vous. Mais réduits à quelques lignes.

Il est vrai que Jouvet aimait déclarer que pour lui le cinoche était un genre à part qui lui permettait de se faire connaître et de gagner pas mal d’argent. Un art alimentaire, donc. 

J’ai toujours eu du mal à admettre cette position. Il est évident que Louis préférait le théâtre mais il ne dédaignait pas le cinéma autant qu’il voulait le faire croire. Il n’est qu’à voir ses relations étroites avec Henri Jeanson qui lui écrivait des dialogues sur mesure, pour sa plus grande satisfaction.

Est également survolé son passage en tant que professeur au Conservatoire. Il a pourtant marqué toute une génération de comédiens dont François Périer et Bernard Blier, qui ont beaucoup parlé de lui. Je vous conseille d’ailleurs de relire Profession menteur, dudit Périer. 

et théâtre favorisé

La vie privée de Jouvet bénéficie d’un meilleur traitement sans que l’ouvrage ne s’étale sur le sujet. On sait qu’il fut un grand séducteur et l’on se contentera de la présence de ses compagnes « officielles ».

Donc il s’agit bel et bien d’un livre sur le théâtre. Qui passionnera les amateurs du genre. Avec les restrictions que cela impose. Autant on peut toujours s’arranger pour revoir un film avec Jouvet, autant il est impossible (à de rares exceptions) de revoir Jouvet sur scène. Il faut donc se plonger dans le texte pour imaginer. Imaginer ses douleurs tout autant que ses réussites et ses échecs.

Grâce à cette biographie, Louis Jouvet reprend vie, s’agite entre les mots, cogite entre les lignes. 

Je terminerai par cette magnifique réplique signée Jeanson et tiré du film Les Amoureux sont seuls au monde, qui colle si bien à la peau et au caractère de Jouvet. À la fin d’un spectacle musical, une femme en émoi vient le féliciter :

— Oh, mon cher ami… Mes mains… Touchez mes mains !… Je suis moite d’admiration. C’était d’une insoutenable beauté.

— Merci, vous êtes trop aimable. Et puis vous dites les choses tellement simplement…

Philippe Durant

Olivier Rony, Jouvet, Gallimard, « folio biographie », janvier 2021, 416 pages, 9,70 eur

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