China Li, Les tribulations d’une Chinoise en Chine

Chez Casterman, Shanghai, une bande dessinée de Maryse & J.-F. Charles. Ce premier volet d’une trilogie intitulée China Li se présente un peu comme une transposition des Misérables dans la Chine des années vingt, dans laquelle l’aventure individuelle de la jeune héroïne éponyme, Li, fait écho aux bouleversements de la grande histoire.

 

La rentrée littéraire de septembre est aussi celle des éditeurs de bandes dessinées. Casterman lance ainsi ces jours-ci quelques grosses locomotives, parmi lesquelles Shanghai, premier volet d’une trilogie intitulée China Li.

Il est encore trop tôt pour dire à quoi ressemblera l’ensemble de cette trilogie (la date de sortie des volets II et III n’a pas été communiquée), mais, pour Shanghai, il semble que les auteurs, Maryse & J.-F. Charles, ont eu en tête ‒ consciemment ou non ‒ la Cosette des Misérables, même si l’action se situe dans la Chine des années vingt. Vendue comme esclave ‒ ou peu s’en faut ‒ par son frère, sinistre individu qui n’a trouvé que ce moyen pour régler ses dettes de jeu, Li, après avoir subi des outrages que, visiblement, elle n’oubliera pas, se retrouve au service d’un eunuque tout puissant (disons, pour résumer, que c’est le parrain de la mafia de Shanghai), sadique et évidemment on ne peut plus antipathique. Mais ce tableau se nuance lorsqu’on comprend que sa misanthropie est due au fait qu’il a subi lui-même un destin analogue à celui de Li ‒ il n’a évidemment pas choisi de devenir eunuque et a été, comme Jean Valjean, une victime de la société ‒ et lorsque, décelant chez cette fillette une sensibilité artistique qui rejoint son propre goût pour la peinture, en particulier pour la peinture française, il décide de lui faire quitter sa condition de petite servante de cuisine pour lui donner une éducation qui fera d’elle une jeune fille respectable et très cultivée, sachant lire, écrire et peindre.

Du point de vue historique, les auteurs n’évitent pas l’une des absurdités du genre, dénoncée par George Lukacs dans son ouvrage intitulé Le Roman historique. Ce grand eunuque qui a la mainmise sur Shanghai n’arrête pas de rencontrer tout un tas de gens, mais il ne saurait bien sûr ‒ sinon, la vraisemblance en prendrait un coup ! ‒ rencontrer des personnages réels vraiment importants. D’une certaine manière donc, dans cette histoire, l’Histoire reste en coulisse. Mais, finalement, peu importe. Ce que nous en devinons en lisant Shanghai est plus que suffisant pour nous faire comprendre comment et pourquoi un régime autoritaire, que ce soit celui de Tchang Kaï-chek ou, plus tard, celui de Mao, a pu s’installer en Chine. La Shanghai des années vingt est une ville sans loi ou, plus exactement, une ville où la loi qui domine toutes les autres est celle de la corruption. Trafic d’opium, prostitution, jeu… L’Occident est là (rappelons pour l’anecdote que Terence Young, réalisateur du premier « Bond », Dr. No, était né en 1915 dans la concession britannique de Shanghai), mais l’Occident laisse faire, quand il ne tire pas lui-même profit du trafic de l’opium. Et donc, comme d’habitude dans un système de corruption, tout le monde profite du système, sauf lorsqu’on arrive en bas de l’échelle, où il ne reste plus rien. Et le bas de l’échelle, à savoir la classe ouvrière, finit par se révolter.

Comme on l’a dit plus haut, il est trop tôt pour deviner ce qui attend l’héroïne de China Li dans les deux volets à venir, mais certains indices (son goût pour les peintres français et l’espèce de prégénérique qui ouvre l’album et qui fait que Shanghai n’est autre qu’un gigantesque flashback) suggèrent que nous pourrions la retrouver en France. Cependant, les auteurs ayant opté, à tous égards, pour une ligne claire, mais claire jusqu’à un certain point seulement (à aucun moment on ne pourra confondre la Chine de Shanghai et celle du Lotus bleu d’Hergé), tout, dans cette superproduction, reste encore possible.

 

FAL

 

Maryse & J.-F. Charles, China Li ‒ Shanghai, Casterman, août 2018, 15,50 euros

 

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