Prisonniers d’état sous Vichy, l’infortune et l’oubli

Un sujet bien oublié

Dans l’abondante littérature consacrée à Vichy et ses errements, voici un sujet qui n’avait pas été abordé de front : être prisonnier d’état. Bien sûr, les biographes de Léon Blum ou de Paul Reynaud avaient abordé le sujet mais uniquement sous l’angle de leur personnage si l’on peut dire. Christophe Lastécouères a l’ambition, avec Prisonniers d’état sous Vichy, de livrer une étude sur le sujet qui se veut complète et qui embrasse aussi bien l’histoire du droit que l’histoire même du régime, tant la condition de ces prisonniers éclaire la volonté du régime de contrôler et de manipuler l’opinion.

Des conditions inédites ?

Qui sont-ils donc ? L’auteur recense Georges Mandel, Léon Blum, Edouard Daladier, Paul Reynaud, l’ex ministre de l’air Guy La Chambre et le général Maurice Gamelin. A ce groupe, il adjoint Jean Zay, ancien ministre de l’éducation du Front Populaire. Les cinq premiers sont appréhendés par la police de Vichy à des moments différents. Embarqué à bord du Massilia, Mandel est assigné à résidence au Maroc et déféré devant la justice militaire… qui conclut à un non-lieu. Mais la justice de Vichy n’en tiendra pas compte.

D’emblée, Pétain et son gouvernement entendent faire de Mandel, Blum et de leurs compagnons d’infortune les responsables de la défaite. Il créée dans ce but la cour suprême de justice installée à Riom. Mais dès octobre 1941, Pétain prononce de lui-même la sentence en les condamnant avant procès (!) à la détention dans une enceinte fortifiée.

Dès lors tout est dit, les principes élémentaires de la justice sont bafoués. Blum et Daladier auront beau jeu de ridiculiser cette justice devant leurs juges du procès de Riom… Pour autant, ce sont des prisonniers d’un type nouveau. Prisonniers politiques ? Internés administratifs ? Et en vertu de quel texte de loi ? Celui de 1832 ?

Principe d’incertitude

Christophe Lastécouères rappelle avec beaucoup de justesse l’opinion de Blum lui-même : tous les prisonniers « politiques » de Vichy subissent le sort de l’incertitude. Régime né de la plus terrible défaite de l’histoire du pays, Vichy manie l’arbitraire avec maestria, tournant le dos à la tradition libérale qui inspire les lois françaises peu ou prou depuis la fin du premier Empire. Ici tout dépend du bon vouloir de Pétain, de ses ministres, de ses policiers.

Détenus au château de Bourrassol ou au fort du Portalet, les prisonniers voient leurs conditions évoluer positivement ou négativement sans logique apparente, en fonction des circonstances et de l’arbitraire. L’auteur rapporte comment Paul Reynaud, à un moment où circulent des rumeurs d’attentat, se retrouve baladé sur sa terre natale, sans que ses geôliers n’aient pensé qu’il constituait alors une cible facile…

Christophe Lastécouères rapporte aussi combien les détenus étaient soumis à des formes de harcèlement psychologique (un euphémisme) : le cas de Mandel mis sous pression par le commissaire Courrier émeut le lecteur. Quant à la presse, elle ne peut les voir. Seul un journaliste collaborationniste comme Paul Allard peut approcher leur lieu de détention. Cela qui lui donne matière à un article de propagande, vantant le luxe dans lequel ils sont supposés vivre : ce mythe perdurera longtemps dans la population.

Voici une étude qui fera date sur un sujet jusqu’ici négligé par l’historiographie.

Sylvain Bonnet

Christophe Lastécouères, Prisonniers d’état sous Vichy, Perrin, mai 2019, 430 pages, 24 eur

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