Juger Franco ? Le retour du refoulé

Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Sophie Baby est une spécialiste de la violence politique et des enjeux de mémoire qui en découlent. Ici, elle a décidé de consacrer un livre sur l’incapacité espagnole à juger Franco : sujet complexe !

Paradoxe espagnol

Franco fut un habile politique. Devenu chef d’un parti factieux alors qu’il n’était qu’un second couteau, il a gagné la guerre civile grâce à l’aide nazie et fasciste (l’Axe donc) et a réussi après 1945 à éviter les sanctions des Alliés contre son pays, grâce à la solidarité née de la lutte anticommuniste. Franco avait, rappelons-le, envoyé la légion Azul sur le front de l’est et si des diplomates espagnols ont aidé des juifs européens en distribuant des visas, ils l’ont fait sans instruction du grand chef. N’oublions pas aussi les espagnols engagés dans la Résistance et ceux qui furent déporté en camps de concentration (Le récit de leurs démarches pour obtenir une indemnisation de la RFA est passionnant). Lorsque la société espagnole a été libérée du dictateur à sa mort en 1975, la transition s’est engagée en Espagne en refusant de juger le régime précédent, malgré les témoignages des républicains, installés en Europe ou en Amérique. La société espagnole, marquée par les horreurs et les charniers de la guerre civile, a refusé de se pencher sur son passé en adhérant à la démocratie. Mais pour un temps seulement.

Mémoire et justice

Car les mémoires familiales, villageoises, avaient gardé en mémoire ce passé. Au tournant du siècle, au moment où la justice espagnole s’empare de ces dossiers, la mémoire de la guerre civile se réveille. Les espagnols cherchent des traces de leurs ancêtres assassinés, des charniers sont mis à jour, quitte à froisser les vieux tortionnaires où leurs descendants. La dépouille de Franco finira par être déplacée de son mausolée (!). La démocratie espagnole a voulu se fonder sur l’amnistie et l’oubli (des concepts grecs). Mais ça n’a pas marché. Cet ouvrage retrace le cheminement parfois douloureux de la mémoire dans un pays qui a cependant réussi à devenir un membre de plein exercice de l’Union Européenne. Excellent travail d’enquête historique.

Sylvain Bonnet

Sophie Baby, Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire, La Découverte, mars 2024, 376 pages, 24,50 euros

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