Sarah Bernhardt, Reine de l’attitude et princesse des gestes
Oh ! ma jolie Sarah…
Il y a exactement cent ans — le 26 mars 1923 — mourait Sarah Bernhardt, ce qui explique la publication de l’ouvrage Scandaleuse Sarah d’Élizabeth Gouslan (dont a déjà rendu compte la Sarah de Boojum, Sarah Vajda) et également la réédition d’une autre biographie, due à Claudette Joannis et intitulée Sarah Bernhardt, « Reine de l’attitude et princesse des gestes ».
Cent ans donc et toujours présente dans les mémoires. Exploit peu commun, car les comédiens de théâtre, si brillants soient-ils, sont par définition des magiciens de l’éphémère — contrairement aux comédiens de cinéma qui, par la grâce de différents supports, peuvent continuer d’exister post mortem. Bien sûr, le nom de gens comme Mounet-Sully — contemporain et partenaire de Sarah Bernhardt —, Madame Simone ou Frédérick Lemaître nous dit encore vaguement quelque chose, mais si vaguement… Avons-nous la moindre idée de la manière dont ils jouaient ? Sommes-nous capables de les reconnaître sur une photographie ? Lemaître serait-il encore dans les mémoires si le cinéma ne l’avait fait revivre, par Pierre Brasseur interposé, dans Les Enfants du Paradis ?
Sarah Bernhardt reste, elle, étrangement présente. Bien sûr, on pourra arguer qu’elle avait elle-même tâté du cinéma, et, qui plus est, sous la direction de Sacha Guitry, mais dans un film muet et, sauf erreur, inachevé et de toute façon bien oublié. Quant aux quelques enregistrements que nous avons de ses interprétations à la scène, ils sont remplis de trémolos auprès desquels le vibrato de Maria Casarès a des airs de lecture recto tono.
Le secret de la longévité de Sarah Bernhardt — devenue aujourd’hui, entre autres choses, sujet d’un portrait d’Andy Warhol et héroïne d’une aventure de Lucky Luke… — est peut-être donné par Claudette Joannis à travers la composition même de sa biographie… qui n’est pas tout à fait une biographie : on se préoccupe relativement peu de chronologie dans cet ouvrage, même s’il faut bien faire mourir Sarah, grosso modo, dans les dernières pages. On ne raconte pas ici la vie de Sarah Bernhardt, mais les différentes facettes de Sarah Bernhardt, parce que, comme on nous l’explique, Sarah Bernhardt ne cessait, y compris dans la « vraie » vie, de jouer le rôle de Sarah Bernhardt, en attachant par exemple autant d’importance à ses costumes de ville qu’à ses costumes de théâtre, qu’elle dessinait souvent elle-même. Le rôle ? Non, les rôles. Car elle n’était pas seulement comédienne. Elle était aussi sculpteur, peintre, couturière. Et c’est sans doute cette multiplicité de facettes qui lui permettait de collectionner les amants et de, miraculeusement, les garder tous comme amis une fois la liaison terminée. À travers la polyphonie de ses voyages, de ses demeures, de ses révoltes, cette biographie nous offre ce que devrait nous offrir toute biographie : l’évocation d’un personnage, mais aussi de toute une époque.
Car, non contente d’être une artiste, Sarah Bernhardt a, d’une certaine manière, rayonné à travers les grands artistes de son temps. Presque tous les projets d’hommages (du type statue, monument…) proposés immédiatement après sa mort tournèrent court, mais elle était déjà inscrite définitivement, elle était inscrite quand même — pour reprendre ces deux mots dont elle avait fait sa devise — dans l’Histoire à travers les œuvres d’autrui. À travers les affiches que, sept ans durant, Mucha dessina pour ses spectacles (et qu’on pourra revoir au Grand Palais dans l’exposition Éternel Mucha) ; à travers telle page de Cocteau ; ou en inspirant l’héroïne de La Muse tragique d’Henry James ou, plus directement encore, la Berma de Proust dans la Recherche.
Si l’on peut définir un mythe comme un objet ou un personnage dont tout le monde peut parler sans pour autant le connaître directement – une rubrique culturelle d’Hara-Kiri s’intitulait malicieusement, mais judicieusement : « Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu, mais j’en ai entendu parler » —, Sarah Bernhardt est indubitablement un mythe.
FAL
Claudette Joannis, Sarah Bernhardt, « Reine de l’attitude et princesse des gestes ». Nouvelle édition revue et augmentée, Payot, « Petite Bibliothèque Payot », mars 2023. 240 pages, 9 euros