Russie-Turquie, une alliance contre-nature?
Une actualité guerrière
Le conflit russo-ukrainien a mis en évidence la menace que fait peser la Russie de Vladimir Poutine (derrière laquelle se cache la Chine). Il a aussi remis en pleine lumière la singulière alliance de facto existant entre Moscou et Ankara, entre Poutine et Erdogan (dirigeant d’un pays membre de l’OTAN, appelons-le). Isabelle Facon, directrice adjointe de la fondation pour la recherche stratégique, a dirigé cet ouvrage consacré à cette relation et s’est adjoint le service de spécialistes comme Gaïdz Minassian (auteur des sentiers de la victoire paru chez Passés composés en 2020), Bayram Balco, Dorothée Schmid ou encore Claire Maroudsian.
Rivaux et partenaires
C’est une très singulière relation entre ces deux pays qui ont été le plus souvent en guerre aux XVIIIe et XIXe siècles. Pourtant, les relations économiques et énergétiques, généralement au bénéfice de Moscou ont créé les conditions d’un partenariat qui ne cesse de se renforcer. L’acquisition du système russe S-400, au nez et à la barbe de Washington, a montré combien Ankara mène un jeu de bascule en l’Occident et la Russie (cette dernière en étant très consciente), sans pour autant remettre en cause le choix de l’alliance atlantique, comme le démontre Isabelle Facon.
En Syrie, Russes et Turcs ont dû s’accorder, ne serait-ce que pour éviter les bavures. Ils ont dû également faire de même dans le Caucase. En Lybie, c’est Ankara qui mène la danse, la Russie se contentant d’empêcher la mise à l’écart de son champion, le maréchal Haftar. Deux partenaires donc, rivaux, qui ont des raisons de s’affronter mais qui gèlent leurs conflits potentiels : pourquoi ?
Deux puissances révisionnistes
Au fond, Turquie et Russie (et leurs dirigeants) ont le sentiment d’être humiliés, bafoués par l’Occident. Poutine redoute l’extension de l’OTAN à ses frontières, Erdogan a perdu patience devant les palinodies de l’UE face à la candidature de son pays. Poutine et Erdogan se méfient des valeurs démocratiques, le dernier a en tête la tentative de coup d’état en 2016 : la Russie lui a alors apporté un soutien complet, l’Occident étant en retrait. Erdogan voulait en 2020 une nouvelle délimitation des frontières maritimes avec la Grèce et Poutine… a envahi l’Ukraine. Aujourd’hui tout rapproche Erdogan et Poutine, dans une certaine mesure. Mais jusqu’à quand ?
Russie-Turquie est une excellente synthèse de géopolitique.
Sylvain Bonnet
Isabelle Facon (sous la direction de), Russie-Turquie, Passés composés, avril 2022, 222 pages, 18 euros