Cyril Carrère, La Colère d’Izanagi

Investissant le mythe primordial japonais, Cyril Carrère signe avec La Colère d’Izanagi un premier roman se déroulant sur ses terres d’adoption. Et c’est une vraie belle réussite.

deux par deux

Hayato (1) est un enquêteur hors normes, aussi doué qu’insupportable pour ses pairs, parce qu’il ne s’embarrasse pas des conventions sociales ni professionnelle avec une touche d’arrogance marquée. Il a deux spécificité : un odorat surdéveloppé (hypersomnie), et une boulimie intarissable. Après un nouveau succès, il est nommé à la tête d’une unité spéciale, par son protecteur et mentor, le plus haut personnage de la police à l’échelon régional. Contrairement à toutes ses habitudes, il va devoir faire équipe avec une enquêtrice aussi hors norme que lui. Et qui a du répondant : la franco-japonaise Noémie, femme de caractère et aussi brillante que lui, mais avec plus d’empathie, et aussi directe dans ses relations humaine. Après une round d’observation, ils vont former un vrai duo complice et efficace.

De l’autre côté, il y a Kenta, qui vit reclus par son anxiété et sa phobie sociale et raréfie le plus possible les contacts avec ses contemporains. Hors Internet, où il évolue à son aise. Il est en couple avec Suzuka, qui vit dans un appartement au-dessus du sien, et qui étudie à l’université des Arts de Tokyo. Lui-même est sensé y aller, quand son anxiété le lui permet. Et c’est dans leur vie d’étudiants qu’il vont être porteur d’une part du récit.

Car chaque duo sert à avancer dans le récit par une ligne directrice différente, et ce procédé est très efficace.

Izanagi

Ces deux duos improbables et pourtant si vivants, si bien dépeints, vont servir à suivre la trame d’une enquête qui commence dans les décombres d’un immeuble d’affaires, réduit en cendres. Puis au sein de l’université des Arts de Tokyo. L’histoire se déroule sur un mois, et pourtant il se passe quantité d’événements dont l’enchaînement ne laisse aucun répit, à personne ! Les crimes se succèdent et comprendre leur cohérence est un vrai défi. Les acteurs secondaires interviennent pour brouiller les pistes. Et quand les révélations finales sont faites, le lecteur est pris de panique par tout ce qu’il n’a pas vu alors que c’était clairement sous son nez. Cyril Carrère joue avec adresse sur tout ce qui peut perturber les réflexes d’un lecteur de polars qui brode ses conclusions au fil de sa lecture.

Au centre, la figure d’Izanagi, divinité shintoïste, co-créateur du Japon (donc du monde). Sa fougue amoureuse pour Izanami le conduit à braver le royaume des morts, où elle repose, et à l’en libérer (2). Cette figure de force et d’amour est réinterprétée par un esprit démoniaque qui a conçu un jeu de pistes et de morts dont les finalités sont insoupçonnables, mais, pour lui, d’une évidence qui sautera aux yeux des lecteurs. Tout comme sa folie.

La Colère d’Izanagi, roman captivant qui séduit aussi bien par les qualités d’écriture que par la machination qu’il contient, est une vraie belle réussite. Tokyo n’y est pas traité comme un élément additionnel et pittoresque, mais comme un personnage à part entière. Quant au duo Hayato-Noémie, on espère le revoir dans de prochaines aventures !

Loïc Di Stefano

Cyril Carrère, La Colère d’Izanagi, Denoël, février 2024, 320 pages, 20,90 euros

On complètera la lecture en visitant le blog dédié par Cyril Carrère lui-même à son roman.

(1) Les lecteurs de Cyril Carrère l’auront déjà rencontré dans la nouvelle Manifesto.

(2) Comme Orphée son Eurydice.

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