« La Reconstruction des nations », archéologie de l’Europe de l’est
Un chercheur face à l’Europe de l’est
Timothy Snyder, professeur à Yale, s’est fait connaître en France avec Terres de sang et Terre noire, où il revenait sur la guerre à l’est et les notions de crimes de guerres et de génocides. Publié en 2003 aux Etats-Unis, La Reconstruction des nations fournit ici le décor sur trois siècles de la tragédie décrite par Snyder. Et dans le passé existe déjà les germes du présent…
Une mosaïque originelle
Timothy Snyder commence par décrire des villes qui portent différents noms, en fonction de la langue de leurs habitants. Ainsi Vilnius s’appelle Wilno en polonais, Vilne en Yiddish ou Vil’nia en belarusse. Idem pour la ville de L’vov qui s’appelle L’viv en ukrainien ou Lwow en polonais. Il décrit ici un espace, celui de l’ancienne république polono-lituanienne, état protonational qui s’appuyait sur la culture polonaise mais était multiculturel. Or cet état disparaît à la suite des partages entre empires russe, autrichien et la Prusse. Peu à peu, l’idée de nation, forgée en France, va venir imprégner les élites polonaises. La grande révolte de 1863 est l’acte de naissance d’une nation polonaise dont vont s’écarter lituaniens et ukrainiens. Sans compter les juifs, persécutés.
La tragédie du XXe siècle
Lorsque la première guerre mondiale s’achève, la Pologne renaît… Mais quelle Pologne ? Le maréchal Pilsudski rêve d’un retour de l’ancienne république alors que nombre de nationalistes rêvent déjà d’un état nation excluant ses minorités. La prise de Vilnius en Lituanie, ville alors majoritairement polonaise, sonne comme un triomphe pour ses nationalistes. La Pologne sera comme on le sait martyrisée par les nazis. On sait moins que dès la guerre, les maquisards polonais affrontent l’UPA des nationalistes ukrainiens afin d’épurer les territoires convoités (et désormais sans juifs…). Staline imposera une Pologne « rétrécie » mais ethniquement homogène : il y aura des « échanges » de population entre Pologne et URSS. Snyder décrit ensuite des années où la Pologne réussit brillamment sa sortie du communisme et établit des relations apaisées avec ses voisins. On aimerait avoir son avis sur la situation actuelle, beaucoup moins apaisée…
Très bonne synthèse sur un sujet méconnu en France en tout cas.
Sylvain Bonnet
Timothy Snyder, La Reconstruction des nations, Pologne, Ukraine, Lithuanie, Bélarus (1569-1999), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Salvatori, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », octobre 2017, 512 pages, 35 euros