Le classique « David et Bethsabée » réédité en Blu-ray
Privilège de notre époque : découvrir ou redécouvrir des films rares dans de splendides DVD ou Blu-rays. C’est le cas d’un péplum méconnu de Henry King pour la Fox, David et Bethsabée, racontant l’amour adultère entre le roi d’Israël et l’épouse d’un de ses soldats. Film injustement oublié que les éditions ESC ont voulu remettre à l’honneur.
En 1949, Samson et Dalila de Cecil B. DeMille, grosse production Paramount, relance la mode des péplums. Qu’à cela ne tienne, Darryl Zanuck de la Fox se met en tête de faire mieux, et plus subtil : ce sera David et Bethsabée ! Trop subtil d’ailleurs, car ce film, anti spectaculaire malgré la beauté et le soin de son design (décors et photo ont été justement oscarisés), prend volontairement le public à rebrousse-poil et recherche constamment la zone d’inconfort.
Ambivalence
Inconfort est le mot qui résume le mieux cette œuvre malgré sa « simplicité biblique » de surface. Car, comme le souligne notre collègue Frédéric Albert Lévy, qui analyse minutieusement le film en bonus de cette édition, le spectateur ne sait jamais sur quel pied danser : faut-il condamner l’adultère ? Les deux amants n’ont-ils pas raison de suivre leur cœur et non la Loi de Moïse, puisque chacun était auparavant malheureux dans son couple, avec un conjoint imposé par la société ? Mais, d’un autre côté, le noble David n’est-il pas monstrueux de sacrifier le mari indigne en l’envoyant dans une bataille ingagnable ? Quant à ce dernier, soldat quasi fanatique, ne désire-t-il pas que cela : se sacrifier ?
Ce relativisme, magnifiquement développé par le scénariste progressiste Philip Dunne, est accentué par le réalisme inhérent aux productions Zanuck. Un réalisme anticonformiste à l’époque, surtout qu’il s’agit de la Bible ! Vous croyez que Ridley Scott était audacieux en suggérant, dans Exodus : Gods and Kings, que Moïse était peut-être un schizo illuminé ? Eh bien, regardez David et Bethsabée :
- La sécheresse s’abat sur Israël : punition divine envers l’adultère ? simple phénomène climatique ? On ne le saura pas.
- Un soldat s’écroule après avoir touché l’Arche d’alliance (oui, la même que dans Les Aventuriers de l’Arche perdue !) : châtiment divin ? épuisement dû à l’intolérable sécheresse ? On ne le saura pas plus.
- David lui-même se sert de manière opportuniste du prophète Nathan (l’antipathique Raymond Massey), considérant souvent avec ironie cet homme qui est clairement montré comme un fanatique.
- Enfin, cerise sur le gâteau, David n’hésite pas à se moquer de sa propre légende (son combat avec le « géant » Goliath) en disant malicieusement à Bethsabée : « A chaque fois qu’on me demande de raconter cette histoire, Goliath grandit un peu plus ! »
En un mot comme en cent, nous ne sommes pas chez Cecil B. DeMille !
Le retour du roi
Nous ne sommes pas chez DeMille, mais nous sommes bien chez Henry King. Tout le travail de cet artiste discret, qui se confond avec l’histoire classique hollywoodienne, a été de conférer son lyrisme, sa sensibilité élégiaque, au scénario presque anticlérical de Dunne, récit qui aurait été sans cela d’une grande… sécheresse, excusez le jeu de mots. Ainsi, en dirigeant avec subtilité les stars Gregory Peck et Susan Hayward, le roi King, converti quelques années plus tôt au catholicisme, a orienté cette « histoire à scandale » vers la pureté et la profondeur des grands récits chrétiens. Je pense notamment à la légende du roi Arthur, avec cette particularité intéressante que David réunit en sa seule personne l’amour pur mais interdit de Lancelot pour la femme d’un autre et la perte de l’âme du Roi Arthur en quête du Graal. Cette analogie est d’autant plus vraisemblable que, comme le rappelle FAL, le roi David est censé être, d’après les chrétiens, l’ancêtre direct de Jésus et le modèle des rois de droit divin européens.
Mais le plus troublant, et ce que King rend subtilement par sa mise en scène heurtée, faisant alterner calme et sauvagerie, c’est la vision d’un homme perdu qui cherche dans sa mémoire, confusément, les raisons de son mal-être. Et, même si c’est de manière « tordue », adultère et interdite (mais, après tout, les voies du seigneur sont impénétrables, n’est-ce pas ?), ce sont bien ces moments tendres passés avec Bethsabée qui vont peu à peu lui faire retrouver sa pureté originelle, lui faire comprendre — flash-back d’une intensité inouïe — que la victoire sur Goliath n’est pas le début de la Grâce mais, pour son âme, le début de la fin (l’enfant David regarde le sang sur ses mains et va se laisser corrompre par le pouvoir), que la vraie Grâce avait eu lieu avant, lorsque, simple berger aimant ses pâturages, il chantait avec sa harpe la beauté du monde, donc de Dieu.
Et lorsque, dans un moment sublime, Bethsabée lui redonne tendrement sa harpe d’autrefois, et qu’il égrène quelques notes d’une grande pureté, il est comme le roi Arthur buvant quelques gouttes du Saint Calice et comprenant soudain le vide de son existence. En aimant Bethsabée et en la sauvant de la vindicte du clergé, David retrouve Dieu, c’est-à-dire, métaphoriquement (puisque le film offre constamment cette double interprétation), tout ce qu’il y a de bon, de désintéressé en nous.
Et, par cette scène toute simple de la harpe, le film de nous suggérer cette très belle idée que la Femme est peut-être le Graal de l’Homme…
Claude Monnier
Blu-ray ou DVD David et Bethsabée (David and Bathsheba, 1951) de Henry King, avec Gregory Peck et Susan Hayward, production Twentieth Century Fox, 115 min. Editions ESC, juin 2018, région B, format du film : 1.37. Supplément : David le roi qui aimait les femmes par Frédéric Albert Lévy (44 min).
Remerciements à Frédéric Albert Lévy et aux éditions ESC.