Dune : Deuxième Partie, une adaptation vraiment litigieuse ?
Traqués par les Harkonnen, Paul et sa mère Jessica se réfugient chez les mystérieux Fremens. Très vite, ces derniers voient en Paul le Messie qu’ils attendaient depuis la nuit des temps. Le jeune homme va devoir alors choisir entre l’amour et embrasser sa destinée, au risque d’embraser la galaxie entière avec une guerre sainte menée en son nom.
Il y a quelques années, lors d’un épisode de la célèbre émission Le Masque et la Plume sur France Inter, le regretté Michel Ciment défendait le travail de Denis Villeneuve, jugé sans intérêt par ses éminents confrères. Le fin cinéphile, à la connaissance quasi inégalée à l’époque (et encore aujourd’hui), comparait le Canadien à un certain Don Siegel, habile artisan qui a offert plusieurs petits bijoux au septième art et a grandement influencé Clint Eastwood dans sa carrière. Cette analogie, fort judicieuse, valorisait de fait, le talent brut de Denis Villeneuve et sa capacité à transcender des productions que l’on aurait qualifié de série B auparavant en quasi-films cultes. Sicario, Enemy, Incendies et surtout sa première incursion dans la science-fiction, Premier Contact, impressionnaient aussi bien par la maîtrise de l’espace que par la mise en situation des enjeux.
Depuis, Denis Villeneuve est entré dans la cour des grands, au grand dam de ses détracteurs, et s’est attaqué à deux mythes absolus de la science-fiction, à savoir Blade Runner et Dune. Crimes de lèse-majesté pour certains, Blade Runner 2049 et Dune ne correspondaient pas à leurs yeux à l’héritage laissé par Ridley Scott pour l’un et à Frank Herbert pour l’autre. Résultat, des scores mitigés au box-office (en outre, Dune : Première partie ne fut pas aidé par le contexte mondial, sorti en pleine pandémie du Covid-19). Voilà pourquoi le réalisateur joue gros avec Dune : Deuxième partie, censé clore l’adaptation du premier roman du cycle imaginé par Frank Herbert.
Un nouvel échec sur le plan économique enterrerait le projet de transposition du Messie de Dune, troisième film du cycle. Villeneuve va-t-il donc en profiter pour séduire le plus grand nombre et abandonner sa propre conception, à la fois de cet univers grandiose, mais aussi de son cinéma, si éloigné de la tendance « tarantinienne » empruntée par plusieurs de ses pairs, issus de la même génération ? Que nenni, puisque, quitte à déplaire, Denis Villeneuve refuse tout consensus et va s’autoriser des libertés que les amoureux du récit original détesteront.
De Dick à Herbert
Néanmoins, ces esprits chagrins devraient se concentrer avant tout sur les véritables faiblesses du long-métrage, à commencer par la qualité des dialogues, loin de se hisser au niveau des écrits de Frank Herbert, en finesse ou en répartie. Denis Villeneuve a déclaré récemment que le parler importait peu sur grand écran et cela se ressent ici (pourvu que Joseph L. Mankiewicz ne l’ait pas entendu, où qu’il soit). En outre, il abuse de certaines facilités (ah la résurrection « matrixienne » insupportable) et de raccourcis pour expliquer la machination élaborée par Jessica.
Mais voilà, beaucoup s’attarderont, peut-être à tort, non pas sur ces écueils, mais sur les écarts vis-à-vis du roman (et ils sont nombreux, il faut l’avouer) du traitement du personnage d’Alia aux morts (un poil grotesque d’ailleurs) de Rabban ou du Baron, en passant par le personnage de Lady Fenring. Cependant, l’éternelle question se pose à nouveau, une bonne adaptation doit elle forcément respecter au pied de la lettre le matériau original ? Dans cette optique, le lien qui unit désormais Denis Villeneuve à Blade Runner renvoie vers un faisceau de réponses concordant avec la réception réservée au film de Ridley Scott, le premier Blade Runner et à l’ accueil glacial de la part de Philip K. Dick lui-même.
L’écrivain avait fortement critiqué le long-métrage et crié à la trahison après avoir découvert la perception très personnelle du metteur en scène d’Alien. Et que dire de Shining, tant la version délivrée par Stanley Kubrick diffère de l’ouvrage de Stephen King. Toutefois, personne ne contestera aujourd’hui leur statut de chef-d’œuvre, tout simplement car les deux cinéastes n’ont pas hésité à apposer leur regard plutôt que d’accoucher d’un copier-coller stricto sensu. Une démarche identique adoptée par Denis Villeneuve qui possède, à l’image de son protagoniste, sa propre vision et elle s’avère limpide, implacable, orchestrée depuis l’opus précédent.
Des plans à l’intérieur des plans
L’adage de Dune veut qu’il y ait des plans à l’intérieur des plans, ne rien laisser au hasard et prévoir l’avenir (ce qui explique ainsi la puissance du pouvoir de Paul). Or, Denis Villeneuve applique cette feuille de route, même s’il doit au passage, sacrifier le versant philosophique omniprésent dans le roman et simplifier à l’extrême l’aspect choral et politique cher à Herbert. Et on saisit très rapidement que Dune (celui de 2021) n’exposait pas seulement toutes les bases, il réduisait la somme des machinations afin de servir le véritable fil conducteur, qui en devient lumineux dans cette Deuxième Partie.
Le cinéaste, avec le pessimisme voire le cynisme qui l’anime, préfère se concentrer sur le danger de la quête de son héros et des conséquences futures, le faisant douter, chanceler et démystifiant d’une certaine manière son côté messianique. Toute la puissance de la mise en scène et de la progression de l’intrigue repose sur un Paul tiraillé entre ses sentiments, le devoir et une destinée fatidique qui lui tend les bras inexorablement. Le gouvernement djihadiste qui succéderait au fascisme ambiant ne promet point un avenir radieux, que ce soit pour ses proches ou pour la galaxie.
En s’interrogeant sur cette impasse, Denis Villeneuve rejoint Frank Herbert dans l’intention et ne déçoit pas. Par conséquent, on comprend davantage le rôle de Chani, devenu prépondérant, ultime garde-fou avant l’horreur, avant le déchaînement des forces du désert et le début d’une autre tyrannie. À ce sujet, sa relation avec Paul est plutôt bien développée et le couple Zendaya / Timothée Chalamet n’a point à rougir de sa prestation (bon il n’égale pas le tandem Lauren Bacall/ Humphrey Bogart). L’intimité prend alors l’ascendant sur le spectacle tant attendu, au point que la fameuse épopée promise s’éloigne inéluctablement.
Fresque anti-épique
Non, Dune ne s’érige pas en Seigneur des Anneaux contemporain (et d’une certaine façon, heureusement), voilà pourquoi beaucoup pointeront du doigt le côté abrupt, précipité de la conclusion, du duel ou de la bataille finale. Mais les initiés à l’art de Denis Villeneuve ne seront guère surpris puisqu’il aime instiller une note minimaliste durant les climax de ses longs-métrages, refusant l’esbroufe au risque de désacraliser les fondements trop racoleurs du blockbuster. S’il décrit les empoignades homériques, c’est pour davantage se concentrer sur le thème des amants maudits ou sur la mutation progressive de son personnage. Denis Villeneuve invite à la tentation pour mieux laisser effilocher l’espoir et les sentiments.
Et dans ce processus, la musique d’Hans Zimmer épouse parfaitement cette ambition, annonçant les moments de bravoure. Des instants peu nombreux donc précieux, fort bien pensés dans leur construction et qui se détachent des images du film de David Lynch. La chevauchée du ver, rythmée par la musique d’Hans Zimmer, en témoigne par son élégance et son intensité. Quant à la séquence de l’arène, cruelle, à l’instar de Feyd-Rautha, elle exsude en quelques minutes toutes les connotations politiques et caractérise à merveille Le Baron, Lady Fenring ou le gladiateur du jour. À chaque fois, Denis Villeneuve ne laisse rien au hasard et entrevoit le futur, même si son plan final, inimaginable fera trembler les puristes.
Et force est de constater que cette absence de consensus confère à l’arrivée toute l’essence de ce Dune : Deuxième Partie. Denis Villeneuve ose, trébuche et se relève pour mieux satisfaire son ego démesuré. Oui, son long-métrage se désolidarise des écrits de Frank Herbert. Mais il n’en demeure pas moins réussi sur le fond et sur la forme.
François Verstraete
Film américain de Denis Villeneuve avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Fergusson, Christopher Walken, Josh Brolin, Léa Seydoux. Durée 2h46. Sortie le 28 février 2024