Ne t’excuse pas… d’espérer la paix

On le sait, Mahmoud Darwich est l’un des plus grands poètes palestiniens contemporains. Son destin l’y a aidé… Né en Palestine sous mandat britannique en 1941, sa famille s’enfuit au Liban au moment de la Nakba, en 1948, elle rentre en Palestine en 1949 pour constater que son village est devenu un kibboutz juif… Elle s’installe clandestinement à Dair Al-Assad. Une fois régularisé, Mahmoud Darwich réussit ses études secondaires, en hébreu. Il s’installe un temps à Haïfa, mais il est vite repéré pour ses écrits jugés « subversifs » par le gouvernement israélien. Commence alors une vie d’errance : Moscou, Le Caire, Beyrouth, Tunis, Paris… « J’ai eu, dit-il, je ne sais plus combien de passeports successifs : algérien, tunisien, irakien, libanais, jordanien et même soudanais ! » Il décède dans un hôpital à Houston en 2008.

Mahmoud Darwich a eu des lecteurs parmi les juifs israéliens les moins nationalistes ; suffisamment pour qu’un ministre de l’Éducation, Yossi Sarid, propose en 2000 que certains de ses poèmes soient inclus dans les programmes scolaires israéliens. Ce qui fut refusé par Ehud Barak, son premier ministre. N’avait-il pas dit : « Le patriotisme s’éteint avec l’avènement d’une patrie universelle. Les petites identités disparaissent et nous devenons tous citoyens d’une terre unique » ? Traduit dans de nombreux pays, il l’est également en hébreu.

Un moi sans frontière

L’édition originale de Ne t’excuse pas, en arabe, est de 2004. Soit un poème de fin de vie. S’il reste palestinien dans l’âme :

Pour notre patrie,/aux collines assiégées déchiquetées,/les embuscades du passé nouveau./Pour notre patrie, butin de guerre,/le droit de mourir consumée d’amour.

Il ne connaît plus les frontières :

Nous avons une patrie sans frontières,/Conforme à notre idée/De l’inconnu, étroite et vaste. Une patrie…

Est-ce pourquoi le poète a mis en exergue de son recueil cette sentence d’Abû Tammân (IXème siècle) :

Ni toi, n’est toi/Ni les demeures ne sont des demeures

qu’il a retrouvée chez Garcia Lorca :

Désormais ni moi, ne suis moi/Ni la maison, ma maison

Signant ainsi une convergence de l’Orient et de l’Occident, sa vie l’ayant amené à ne plus être seulement le combattant de l’OLP qu’il fut.

Ainsi s’explique le titre du recueil : lorsque, de passage en Cisjordanie, on ne le reconnaît plus, pas même sa mère :

Je suis la mère qui l’a élevé /mais les vents l’ont élevé./Je dis alors à mon autre moi : /Ne t’excuse qu’auprès de ta mère !

… mais pas auprès du reste de la famille, ni des amis d’enfance ni des curieux. Il ne s’excuse pas d’avoir délaissé son moi ancien. Mahmoud Darwich est devenu un poète ouvert sur le monde. On en voudra pour preuve les trois compositions en hommage à l’Égyptien Amal Dunqul, au Grec Yannis Ritsos, et au Syrien kurde Salim Barakat.

Ne t’excuse pas est une ode à l’amour, et à l’amour seulement : « La poésie est l’épouse du lendemain et la fille du passé», dit-il.

In memoriam

En guise de conclusion voici, extrait de son livre État de siège, un résumé de sa position politique qui résonne aujourd’hui plus que jamais :

« Oh tueur, si tu avais regardé le visage de ta victime et réfléchi attentivement, tu te serais peut-être souvenu de ta mère dans la chambre à gaz, et tu te serais libéré du préjugé du fusil, et tu aurais changé d’avis. Vous qui vous tenez sur les seuils, entrez et prenez avec nous le café.»

Mathias Lair

Mahmoud Darwich, Ne t’excuse pas, traduit de l’arabe par Elias Sanbar, Actes sud, mai 2024, 144 pages, 18 euros

Laisser un commentaire