« Dépressions », Herta Müller en 19 nouvelles oppressantes

Herta Müller est un écrivain roumain née en 1953, vivant en Allemagne, et couronnée d’innombrables prix dont le plus prestigieux, le Nobel de littérature en 2009. Ce fut une surprise, encore trop peu de ses livres étaient traduits en français à cette époque. Auteur de plusieurs romans, récits et essais, elle nous avec Dépressionsdix-neuf nouvelles qui nous dévoilent un univers fermé dans une communauté des années 70.

 

 

Née le 17 août 1953, à Nitzkydorf, en Roumanie dans la région du Banat, ce village germanophone compte une minorité souabe. Plus tard, Herta Müller se rapprochera de l’Aktionsgruppe Banat, où l’on y trouve un grand nombre d’auteurs germanophones, afin de militer avec eux pour défendre la liberté d’expression. Plus tard encore, travaillant dans une usine de machines où elle est traductrice, elle sera renvoyée car elle refuse de dénoncer des camarades de son groupe à la Securitate. C’est donc dans une période de vaches maigres et de grande révolte qu’elle commence à écrire. Probablement est-ce une première piste pour comprendre d’où lui vient cette affection pour une poésie brutale et déroutante à chacun de ses livres.

 

Herta Müller fera paraître un premier livre Niederungen (Dépressions) en 1982 à Bucarest, qui n’échappera pas à la censure. Et c’est en 1984 en Allemagne de l’Ouest qu’il sera publié pour la première fois dans son intégralité. Mais il nous faudra attendre 2015 néanmoins, pour enfin jouir d’une traduction française de Nicole Bary.

 

Caricature d’Herta Müller parue dans Der Spiegel à l’occasion de son discours de remise du Prix Nobel

 

Le premier livre de cet écrivain roumain de langue allemande, réfugiée à Berlin en 1987, où elle vit encore, pour échapper à la dictature de Nicolae Ceaușescu, est un recueil éprouvant, brutal, déroutant, et cruel, pour dénoncer l’oppression, la violence, le meurtre, la peur, l’enfermement et l’oubli. N’ayant jamais vraiment parlé roumain, Herta Müller vit encore, habitée la dictature de Ceausescu, nourrit d’un irrésistible amour pour la résistance contre l’oppression et l’oubli.

 

De quoi parle ses nouvelles dont certaines ne font pas plus de deux pages ? Incisives, lapidaires, comme son écriture, elles racontent les petites gens de sa jeunesse, le marché, l’église, les champs. Herta Müller raconte la guerre et les crimes de guerre, les enfants illégitimes, les adultères, la propagande et la dictature ; elle révèle tous les non-dits ; ce qui est difficilement exprimable. L’indicible qui pèse lourd sur la vie de la communauté. Poésie de la vie et de la mort, écriture fiévreuse, mordante, la concision brutale des nouvelles, et le refus de tout compromis dans le style fait de ce recueil un vrai bijou de la littérature ; une littérature qui ne se paye pas de mots, oppressante, ravageuse, angoissante. Une littérature qui conte les riens d’une vie difficile, suffocante, dans le style des grands écrivains. Une critique de l’absurdité des dictatures, de la violence de la propagande, narrant la vie d’âmes brisées, laissées sur le bas-côté de la route ; une écriture contre la tyrannie et l’oubli, dérangeante, mais ô combien nécessaire…

 

Ce premier recueil de jeunesse d’Herta Müller, qui rend ses lettres de noblesses à la littérature, et nous dit à quoi servent encore les livres…

 

Marc Alpozzo

 

Herta Müller, Dépressions, traduit de l’allemand par Nicole Bary, Gallimard, « Folio », 240 pages, février 2018, 7,25 euros

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