Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil, dans l’antre du poète

L’artiste et sa maison 

Gainsbourg est un monument de la chanson française : ce lieu commun ne veut rien dire et tout dire tant il a été répété ad nauseam par tant de journaleux énamourés. Reste que l’homme à la tête de chou, autrefois le petit Lucien qui portait l’étoile jaune (on est toujours le produit de son enfance), a marqué pour le meilleur et le pire la musique, mélangeant la poésie à la française et les rythmes modernes. Sa progéniture artistique est connue : Bashung, Biolay mais aussi M.C. Solar. Marie David, réalisatrice de documentaires pour la télévision, a choisi d’étudier le personnage via sa maison, le 5 bis rue de Verneuil. 

Il était une fois… 

J’avoue, j’en ai bavé, pas vous, mon amour ?

Avant d’avoir eu vent de vous mon amour

Ne vous déplaise

En dansant la javanaise

Nous nous aimions

Le temps d’une chanson

 Et voici l’histoire de Gainsbourg et de sa maison, achetée pour abriter son histoire avec Bardot, qui visite le chantier. Se croyant laid et moche, Gainsbourg s’enivre de cet amour avec la plus belle femme du monde… Puis vient la rupture. Il y vivra avec Jane Birkin, l’amour de sa vie (mais pas avec sa dernière compagne, Bambou) mais il est drôle de voir à quel point il a choisi tout : peinture, meubles, bibelots. Une fois que quelque chose est acheté, plus rien ne doit bouger (il a lu A rebours), malgré des importuns comme Coluche ou Julien Clerc qui déplacent des bibelots et le font enrager. Gainsbourg est alors heureux, si ce mot a un sens, malgré les disputes et les conflits avec Jane.

Serge, en fait, est jaloux. Lui qui a tant cherché la célébrité se retrouve durant les années 70 connu comme le compagnon de sa femme. Il enchaîne les disques majeurs (Melody Nelson, Vu de l’extérieur, L’Homme à la tête de chou) mais il ne vend plus… jusqu’à la marseillaise reggae. Avec ce succès, il tient sa part de rêve, de gloire, être aimé de ses fans, signer des autographes. Mais il devient insupportable et quand Jane rencontre Jacques Doillon, Gainsbourg perd sa femme. Il est possible qu’il ne s’en soit jamais remis. Le récit de Marie David est ici poignant. 

Une prison 

Le récit des dernières années était déjà connu avec la biographie de Gilles Verlant. Marie David montre en tout cas à quel point cette maison, ce musée, était devenue sa prison. Là, après ses fêtes, ses soirées chez ses potes flics, ses virées au Palace, il se retrouvait avec ses souvenirs. Bardot bien sûr mais Jane surtout… L’alcoolisme le transforma en Gainsbarre, héros pour des jeunes qui mettaient à bas ce qui restait du monde d’avant. Mais Serge Gainsbourg souffrait. Il ne vivait plus que dans la douleur, malgré Bambou (qu’il a sauvé de la drogue), malgré les efforts de son majordome, Fulbert, ou de ses jeunes copines, des « lolycéennes » comme il les appelait, qui voyaient bien combien que cet homme, celui des dessous chics, était à bout : 

Les dessous chics

C’est ne rien dévoiler du tout

Se dire que lorsqu’on est à bout

C’est tabou…

Trop d’excès, trop d’alcool, il est malade et arrive au bout de son chemin. Gainsbourg mourra seul en 1991 au 5 bis, rue de Verneuil. Pour l’instant le lieu est gelé dans l’éternité et il n’est plus prévu d’en faire un musée : tant mieux.

Gainsbourg est vivant par ses chansons, par ses mots, pour toujours et n’a pas besoin de musée destiné à être visité par des touristes ignares ou des bobos incultes, surtout pas. C’est un des mérites indirects de ce livre que de le faire comprendre. 

Sylvain Bonnet 

Marie David, Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil, Plon, février 2020, 352 pages, 19,90 eur

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