Dire le deuil – Les Écrivains et l’adieu

Le recueil Dire le deuil ne fait qu’une centaine de pages, mais, vu son sujet, il serait très mince même s’il en faisait mille : son sous-titre, Les Écrivains et l’adieu, n’est pas loin en effet d’être un pléonasme, puisque l’on sait que la littérature – pour ne pas dire le langage – a été inventée avec la mort, contre la mort. Le théâtre grec, par exemple, était à l’origine une mise en scène « de consolation » simulant la résurrection d’un défunt, formules magiques à l’appui.

Ces cent pages en tout cas ont le mérite de réunir des textes empruntés à plusieurs genres différents – haïku en trois lignes, récit, poème – et qui ne présentent pas tous le même point de vue. Un ou deux d’entre eux sont d’un égocentrisme, sinon d’un égoïsme, insupportable, l’écrivain parlant beaucoup plus de lui-même que du disparu qu’il est censé évoquer. Paradoxalement, ce sont peut-être les romantiques qui, nonobstant leur culte du moi, présentent le moins ce défaut. Dans l’inévitable Demain, dès l’aube (qui fait à lui tout seul la quatrième de couv’), Hugo parle bien à la première personne, mais la mise en scène est en l’occurrence celle de sa propre disparition. « Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées… » D’une certaine manière, il s’enfonce dans le néant pour rejoindre celle qui n’est plus. Lamartine, que Lautréamont n’hésita pas à comparer à un robinet d’eau tiède, est effectivement tiède lorsqu’il parle de la mort, mais cette tiédeur est bien celle de l’incertitude que, pris « entre deux eaux », nous ressentons juste après la disparition d’un être cher : nous savons qu’il est mort ou qu’elle est morte, mais, pendant un temps, nous n’avons qu’à moitié conscience de cette réalité objective. Nous n’arrivons pas à imaginer, à admettre que celui ou celle qui n’est plus là n’est plus là. Importance des mots et de la littérature, puisque, quand nous pensons à un mort et que nous fermons les yeux, nous l’entendons parler ; nous entendons sa voix. Et la poétesse japonaise Ryōko Sekiguchi nous conseille d’enregistrer la voix des gens que nous aimons avant qu’ils ne s’en aillent, parce que la voix, même enregistrée, reste la propriété du présent.

Le texte le plus long du recueil est emprunté au livre de l’essayiste et romancier Philippe Forest L’Enfant éternel. Langage encore : Forest, qui, si l’on peut dire, sait de quoi il parle puisque l’enfant qui est au cœur de ce roman n’est autre que sa fille, morte d’un cancer à l’âge de quatre ans – Forest, donc, s’insurge à bon droit contre l’absurdité des formules, aujourd’hui si prisées, « faire son deuil » et « travail de deuil ».

« Faire son deuil. L’expression est tellement ressassée qu’on n’entend plus ce qui, en elle, sonne d’étrange. Faire son deuil, comme on fait son lit, sa toilette, ses courses, comme en prison, on fait son temps ; comme on s’acquitte d’une besogne routinière et fastidieuse… Ce n’est pas le deuil, se faisant de lui-même, qui est un travail. Le vrai travail mental se fait à rebours de celui-là, empêchant que tout ce qui a été ne disparaisse dans le gel nauséeux de l’oubli… Comment ne pas se dessaisir de ce qui s’évapore ? Comment conserver en vie ce qui se perd déjà ? »

Peut-être en omettant volontairement (?) de mentionner,comme le fait Éluard dans « Ma Morte vivante », la part de l’autre qui lui manque le plus ? La littérature n’est jamais aussi forte que quand elle se niche entre les lignes.

FAL

.

Dire le deuil – Les Écrivains et l’adieu, Gallimard, Folio, septembre 2024, 96pages, 3 euros.

Laisser un commentaire